Lancé au Festival de Cannes, le 41e long métrage de Woody Allen est salué comme l’un des plus beaux films qu’a offerts le réalisateur de Manhattan au cours des récentes années. Paris y serait-il pour quelque chose? Entrevue exclusive.

> Woody Allen : quelques suppléments!

L’exercice est assez saisissant. Il suffit de fermer les yeux un instant pendant la projection de Midnight in Paris pour se rendre compte à quel point Owen Wilson emprunte dans ce film le ton, l’accent, le débit de celui qui le dirige derrière la caméra. Au point même où l’idée d’un jeune alter ego nous vient spontanément à l’esprit.

«Pourtant, non! explique Woody Allen au cours d’un entretien téléphonique exclusif accordé à La Presse jeudi. Cela dit, il est vrai que si j’étais plus jeune, j’aurais évidemment joué ce personnage moi-même. Mais l’idée d’un alter ego suppose quand même une ressemblance dans la façon d’être. Owen et moi n’avons rien en commun. Il est texan, il vit à Hawaii, il est beau, il est blond, c’est un garçon de plage qui parle comme un cow-boy. À vrai dire, Owen et moi sommes tellement différents que j’ai même beaucoup hésité avant de lui offrir le rôle. Sa réalité est beaucoup trop éloignée de la mienne. Puis, j’ai songé à remanier le script en faisant du personnage un scénariste hollywoodien. En le plongeant dans un environnement californien plutôt que new-yorkais, tout fonctionnait alors très bien. Owen a sa propre qualité à l’écran. Un peu comme Jimmy Stewart. Je n’aurais jamais pu jouer ce personnage de la même façon.»

Dans le récit qu’a imaginé Woody Allen à la faveur de ce film tourné dans la Ville lumière, Wilson incarne Gil, un écrivain recyclé dans le domaine du scénario hollywoodien prémâché. Lors d’un voyage à Paris avec sa fiancée (Rachel McAdams), et les parents de cette dernière, le jeune homme retrouve la motivation au fil de promenades nocturnes en solitaire, au cours desquelles il fera des rencontres aussi improbables qu’inattendues.

«Au départ, je n’avais que le désir de concevoir un film romantique, reconnaît le réalisateur de Manhattan. Et j’avais ce titre qui me trottait dans la tête: Midnight in Paris. Rien d’autre. Je n’arrivais pas à trouver ce qui pouvait bien survenir à cette heure-là dans la capitale française. Puis est venue l’idée de cette voiture qui emmènerait ce personnage vers une fête. Et je me suis dit que ce serait bien si Gil pouvait rencontrer là des gens qu’il idolâtre. Progressivement, l’idée de transgresser les époques s’est installée. Des artistes mythiques qui, bien entendu, sont aussi mes idoles, se sont greffés au récit: Hemingway, Fitzgerald, Picasso, Buñuel, Dali, etc. Une fois ce point de départ établi, le reste de l’écriture s’est fait comme un charme!»

Vive la France!


Même s’il avait déjà tourné quelques scènes d’Everybody Says I Love You à Paris, Woody Allen a cette fois installé ses pénates pour toute la durée d’un film dans un pays où on lui voue un véritable culte.

«Je suis allé à Paris pour la première fois de ma vie en 1964, raconte le vénéré cinéaste. Il est impossible de ne pas tomber amoureux de cette ville. Quand, quatre ans plus tard, j’ai commencé à réaliser des films, les Français m’ont adopté tout de suite. Je cherche d’ailleurs à en comprendre les raisons encore aujourd’hui. Ils ont toujours réservé un accueil enthousiaste à mes films, m’ont suivi dans toutes mes expériences, et ils m’ont toléré même quand je proposais des trucs moins bons. Leur fidélité à mon égard dure depuis plusieurs décennies maintenant. C’est pourquoi j’ai tenu à faire chez eux un film chaleureux afin d’honorer une relation très féconde, qui m’est précieuse. J’ai aussi voulu témoigner toute mon affection et ma reconnaissance envers la culture française.»

Tant en France qu’en Amérique, Midnight in Paris est l’un des opus alleniens ayant suscité le plus de commentaires favorables au cours des récentes années. Même après plus de 40 longs métrages, l’auteur cinéaste estime que la perception d’une oeuvre relève toujours du plus grand mystère.

«Certains films fonctionnent bien dans certains pays et pas dans d’autres, fait-il remarquer. On peut même parfois noter des différences notables d’une ville à l’autre. Rien n’est prévisible. Pendant le tournage d’un film, on ne sait pas non plus. On peut être heureux de ce qu’on voit quand on regarde le soir les scènes qu’on a tournées plus tôt dans la journée, mais ce n’est qu’au moment d’un premier assemblage qu’on peut vraiment avoir une idée de l’allure d’un film. Et encore, ce n’est alors jamais parfait. Il y a toujours des ajustements à faire.»

Un appétit de cinéma

Aujourd’hui âgé de 75 ans, Woody Allen affiche toujours le même appétit. Il ne compte pas diminuer la cadence. Du moins, pour l’instant. Mais il ne fait plus du cinéma aujourd’hui pour les mêmes raisons qu’à l’époque de ses 30 ans.

«Quand j’ai commencé à réaliser des films, c’était uniquement pour rencontrer des filles! dit-il. Je savais que cette profession-là te permettait de côtoyer de belles actrices et de devenir populaire auprès d’elles. Ce n’était peut-être pas la seule raison m’ayant poussé à me lancer dans le cinéma, mais certainement l’une des principales! Maintenant que je suis marié depuis longtemps, que j’ai une famille, et que je suis plus âgé, ça ne me donne plus rien de rencontrer des filles! Aujourd’hui, je fais du cinéma parce que j’aime en faire. Il me donne l’occasion de m’exprimer sur le plan créatif. Et il a aussi une fonction thérapeutique!»

Woody Allen s’apprête à tourner Bob Decameron cet été à Rome. Il s’est même donné un rôle dans ce 42e long métrage, ce qu’il n’a pas fait depuis Scoop. Autour de lui, Penélope Cruz, Alec Baldwin, Ellen Page, Jesse Eisenberg, Judy Davis, et Roberto Benigni.

«Par chance, il y a enfin un personnage que je peux jouer, explique-t-il. Cela devient très difficile de me trouver des rôles à jouer dans mes films parce que je suis souvent trop vieux pour le personnage. Ou alors, pas assez bon acteur!»

Midnight in Paris
(Minuit à Paris en version française) est présentement à l’affiche.