«Lapin!» Des quatre coins de la grande salle bondée du Centre Bonlieu, le cri de ralliement du Festival international du film d’animation d’Annecy résonne au début de chaque séance au moment de la projection de la bande-annonce de l’événement, au grand plaisir de ces «fous» de l’animation, mobilisés derrière «leur» manifestation qui, comme aucune autre, fait peu de cas du protocole.

Le passe-temps préféré des spectateurs, en attendant le début des projections, est de lancer des dizaines d’avions de papier en direction de l’écran. Celui qui fait atterrir le sien sur la scène reçoit une ovation automatique. Lundi matin, dès la première séance du 35e festival, qui se déroule jusqu’à samedi, le rituel n’a pas failli.

À Annecy, le terme festif prend tout son sens et le spectacle est donc autant à l’écran que dans les salles, squattées par des hordes de jeunes aux allures bigarrées, dont beaucoup d’étudiants en art plastique, graphisme, techniques d’animation numérique ou de création de jeux vidéo. Les pros sont aussi au rendez-vous, près de 2000 de 70 pays, et se mêlent aux spectateurs dans un naturel réjouissant.

En 51 ans d’existence, le festival d’Annecy s’est imposé comme le grand rendez-vous mondial de la planète animation qui, depuis 20 ans, avec l’avènement des techniques numériques, le boom des séries télé, des effets spéciaux et des jeux vidéo, a créé un volet industriel imposant. Les grands studios américains et asiatiques, les développeurs et les fabricants de logiciels, les éditeurs de jeux vidéo se sont joints à la mêlée et sont devenus des fidèles de son gros marché.

Recrutement

Les boîtes de production y font aussi du recrutement, espérant mettre la maison sur le nouveau John Lasseter (Toy Story), Carlos Saldanha (Ice Age), Nick Park (Wallace et Gromit) ou Tim Burton. Ceux-là, et bien d’autres, comme les Français Michel Ocelot (Kirikou) et Sylvain Chomet (Les triplettes de Belleville), sont passés par la case Annecy avant de tourner leur premier long métrage. Et s’ils sont aujourd’hui connus, c’est précisément parce qu’ils ont fait le saut dans le format long, le seul ayant accès au marché de la salle. Pourtant, la grande majorité des cinéastes d’animation, contrairement aux réalisateurs de films de fiction, feront toute leur carrière dans le court métrage.

À Annecy, c’est le long métrage qui est l’exception avec 16 films, dont 9 en compétition (pas tous inédits), sur 223 sélectionnés. «Le court métrage est loin des réseaux commerciaux, rappelle Serge Bromberg, directeur artistique du festival. Sa force, c’est sa liberté et sa faiblesse, c’est qu’on peut faire ce qu’on veut et n’importe quoi avec.»

Hommage aux Américains

En rendant hommage au cinéma américain cette année, M. Bromberg a conforté son image de sélectionneur peu avant-gardiste. Et pourtant, ce n’est pas lui qui choisit les films qui seront projetés au festival, en compétition ou pas. Le choix revient, en fait, à des comités de professionnels indépendants qui font le tri parmi les presque 2000 films inscrits. Ce qui, au final, rassemble une sélection hétéroclite et incohérente et suscite de plus en plus d’insatisfaction au sein de la profession comme du public.

Harcelé de toutes parts, le festival a fini par engager une réflexion sur ce système qui sera peut-être remis en question dès l’année prochaine. Bromberg, lui, y est opposé. Il reste que si ce changement devait avoir lieu, cela pourrait mettre fin à des injustices notoires, comme cette année, où les films du grand maître Koji Yamamura (Les cordes de Muybridge) et du duo palmé Amanda Forbis et Wendy Tilby (Wild Life), tous deux produits par l’ONF, ont été écartés de la sélection alors que d’autres y figurent.