La bataille des anciens et des modernes est repartie de plus belle au terme du 35e Festival international du film d'animation d'Annecy, qui s'est terminé samedi soir sur un palmarès inégal, à l'image d'une sélection courte qui n'a pas été représentative du meilleur de l'art de l'animation.

Sous la pression conjuguée de la production industrielle, qui alimente les salles de cinéma en superproductions américaines en 3D, ainsi que des écrans de télé avec des séries pour les jeunes et des jeux vidéo en ligne, le cinéma d'animation peine à défendre sa singularité. Heureusement, certains longs métrages ont sauvé l'honneur.

Il est loin le temps où les films de Walt Disney étaient la référence en matière d'images animées et où les dessins animés des grands studios américains ravissaient de joie les enfants du monde entier. L'éclosion du cinéma d'auteur dans les années 60 laissera son empreinte sur ce genre, jugé mineur, et de grands maîtres s'imposeront (Alexeïeff, McLaren, Grimault, Svankmajer, Back) sans jamais atteindre la notoriété de ceux de la fiction. D'autres, par la suite, en passant au long métrage, réussirent à être considérés comme de vrais cinéastes au même titre que leurs collègues américains: Hayao Miyazaki, Michel Ocelot, Sylvain Chomet, Ari Folman. Leurs films révèlent un univers personnel, un imaginaire singulier, un ton unique, une forme esthétique inventive.

La BD à la rescousse

Si la peinture a longtemps servi de référence aux anciens maîtres, notamment à Disney, c'est aujourd'hui la BD contemporaine qui devient, notamment en France, une source d'inspiration. Marjane Satrapi avait ouvert le bal avec son captivant Persepolis. Cette année, c'est Joann Sfar (Gainsbourg, vie héroïque) qui a attiré tous les regards avec l'adaptation (avec Antoine Delesvaux) de sa propre BD, Le chat du rabbin, grand vainqueur de la compétition à Annecy.

Le graphisme du film respecte assez celui des albums, et le ton, révélé à travers les savoureuses réflexions philosophiques du chat, produisent de réels moments de plaisir, redoublé grâce au somptueux travail des décors. Aux trois quarts du film, cependant, la magie se perd, le récit s'embourbant dans une succession de scènes disparates qui émoussent l'intérêt. Le jury n'a pas tenu compte de ce relâchement narratif.

Sois beau et dis quelque chose

Maîtriser son récit, l'enrichir continuellement, créer des rebondissements, introduire de nouveaux personnages sans s'éparpiller est une gageure en animation. Souvent, trop d'efforts sont mis sur la direction artistique qui requiert une masse de travail, au risque de noyer l'enjeu dramatique dans une maestria esthétique ou technique. C'est le cas d'Une vie de chat de Jean-Loup Felicioli et d'Alain Gagnol, qui tente maladroitement de plaire aux petits comme aux grands à travers une histoire vaguement policière truffée de personnages caricaturaux de gangsters et des dialogues dépassés. Dommage.

En revanche, Chico et Rita des Espagnols Fernando Trueba (Belle époque) et Javier Mariscal est la belle surprise de ce festival. Cette histoire de passion amoureuse, construite autour de la musique jazz cubaine, démarre à La Havane dans les années 50 pour se poursuivre à New York et Las Vegas en compagnie de Charlie Parker et de Dizzy Gillespie. D'une grande élégance dans sa reconstitution graphique, le film distille un charme langoureux empreint de nostalgie et d'émotion. D'autres longs métrages, tels que Colorful du Japonais Keiichi Hara (prix du public), présenté au dernier FNC, et The House d'un quintet coréen témoignent de la vigueur asiatique dans le domaine en abordant des thèmes sociaux forts (la détresse adolescente, la crise du logement) non sans leur insuffler une poignante dimension onirique.

Le meilleur et le pire

Beaucoup plus dépouillé et iconoclaste dans son style, Goodbye Mister Christie (présenté hors compétition) de Phil Mulloy s'en prend avec une réjouissante liberté de ton à l'hypocrisie d'une Angleterre traditionnelle sous l'emprise des médias qui se ment à elle-même et rêve d'une gloire passée. À l'autre extrême, le festival d'Annecy a servi de rampe de lancement à une mégaproduction française en 3D nourrie aux testostérones, The Prodigies - La nuit des enfants rois, tirée d'un best-seller. C'est le type même de l'oeuvre hybride, mi-film, mi-jeu vidéo, morbide et malsaine aux accents futuristes, impressionnante sur le plan technique, qui menace l'animation dans son essence et sa capacité d'incarner du merveilleux avec une âme.

Côté court, cette 35e présentation, à défaut de n'avoir pas révélé de grand auteur, a confirmé l'originalité du travail époustouflant de l'Italien Blu, graffitiste-animateur anonyme, dans la veine de Banksy, qui explose dans Big Bang Big Boom (prix spécial du jury). Par ailleurs, l'ONF peut s'enorgueillir d'avoir participé à la coproduction internationale Switez, la cité perdue, étonnante épopée mystique du Polonais Kamil Polak qui a remporté le prix de la première oeuvre.