Après un premier film dramatique sorti en 2008 (Il y a longtemps que je t’aime), l’auteur et réalisateur français Philippe Claudel explore un nouveau genre avec Tous les soleils, une comédie italienne lumineuse campée à Strasbourg, sortie le 30 mars dernier en France. Toujours avec la même empathie et la même humanité pour ses personnages du quotidien qui trouvent refuge auprès des autres.

Philippe Claudel aime trouver sa zone d’inconfort.

Que ce soit à titre de romancier ou de cinéaste, même s’il y a des thèmes récurrents dans son œuvre, il aime les ruptures de ton. Lui qui a abondamment parlé dans ses livres de la guerre et de la détresse humaine (Le rapport de Brodeck, La petite fille de Monsieur Linh, s’est mis à l’écriture d’une comédie. « J’avais envie de changer de langage cinématographique. J’avais envie de faire une comédie originale, avec des scènes drôles, mais des préoccupations sérieuses, où l’on passerait d’une émotion de rire à une émotion de larme », a-t-il expliqué au cours d’une entrevue.

Comment a-t-il su que Tous les soleils allait être un film plutôt qu’un roman ? « Un roman vient toujours avec une première phrase, dit Philippe Claudel. Sans que je sache ce que ça va donner comme histoire. Je tire sur ce petit bout de ficelle, et ça prend forme ; alors que pour un scénario de film, j’ai déjà l’histoire globale dans ma tête. J’ai des idées de dialogues, de décors, de musique. C’est ce qui est arrivé pour Tous les soleils. »

Comme dans Il y a longtemps que je t’aime, centré sur la réunion de deux sœurs (après la sortie de prison de l’une d’entre elles), Tous les soleils est une histoire sur la famille et sur le deuil, qui fait le récit de deux frères italiens établis à Strasbourg. « Je ne suis pas le premier à le dire, mais la famille est le microcosme grâce auquel on peut observer tous les drames humains, détaille le réalisateur. C’est justement ce qui nous permet d’approfondir les rapports humains. »

Le premier frère, Alessandro, est veuf depuis la naissance de sa fille qui a maintenant 15 ans. Spécialiste de musique baroque, il initie notamment ses élèves à la tarentelle, cette danse du sud de l’Italie aux vertus guérissantes (contre les piqûres de tarentules), qui a donné naissance à une musique très rythmée. Sa vie est centrée sur celle de sa fille, qu’il élève à la méditerranéenne, c’est-à-dire de manière un peu étouffante. Son frère, un peintre anarchiste sympathique qui renie son président (Berlusconi) et se dit apatride, complète le tableau de cette petite cellule familiale atypique.

« J’ai un rapport très affectif avec l’Italie et les Italiens, nous dit Philippe Claudel. À partir du moment où j’ai décidé de faire une comédie, j’ai tout de suite eu envie d’avoir des personnages italiens. C’est une forme de tribu à la comédie italienne, avec des personnages qui jouent des scènes de véhémence verbale, d’exagération, de sentiments exacerbés. Les scènes d’engueulades entre les frères marchent parce que c’est en italien. Si j’avais tourné ces scènes avec des Allemands, ç’aurait été sinistre. Mais les Italiens, quand ils s’engueulent, c’est toujours un spectacle. »

La musique de Strasbourg

L’auteur-cinéaste raconte comment il a découvert par hasard la tarentelle, et combien il souhaitait que ce soit au cœur d’un de ses films. Une fois le contour de cette comédie italienne tracé, et cette musique rythmée placée dans le récit, il lui restait à trouver un lieu. Il a choisi Strasbourg, une ville qu’on voit peu au cinéma. « C’est une ville où l’on entend toutes les langues européennes, notamment à cause de la présence du parlement européen. Ça donne une musique à la ville, qui est très intéressante », dit-il.

Le personnage principal, Alessandro, autour duquel gravite toute une galerie de personnages attachants, est défendu par Stefano Accorsi, qui a notamment joué dans La faute à Fidel, de Julie Gavras, et Un baiser s’il vous plaît, d’Emmanuel Mouret. Contrairement au prototype italien, le personnage est un homme discret, cultivé, qui vit toujours avec le fantôme de sa femme, morte accidentellement. Un homme profondément humain (il fait la lecture à des personnes hospitalisées), mais qui a renoncé à l’amour.

« Tous les soleils » fait référence à ces personnes qui l’entourent et qui l’aiment. Son frère, sa fille (mature et clairvoyante), mais aussi ses amis, et cette femme malade, Agathe, à qui Alessandro fait la lecture, et dont la mort sera l’élément déclencheur d’une série d’événements heureux au centre duquel se trouve la fille d’Agathe. « Tous les personnages vivent une certaine solitude, mais sont porteurs d’espoir. Ce qui me fascine, c’est comment les destins s’entrecroisent. Comment on peut passer facilement à côté de quelque chose, ne serait-ce que parce qu’on a décidé de marcher sur telle rue plutôt que telle autre. »

Le tournage du film s’est terminé en même temps que son dernier roman L’enquête : « Les gens disaient : "Comment quelqu’un qui a écrit L’enquête peut faire Tous les soleils ?" Si vous réfléchissez, c’est la même chose. Ce sont les faces d’une même médaille. Tous les soleils, c’est l’histoire de quelqu’un qui surmonte sa peine et son désespoir grâce aux autres. Il y a une espèce de chaîne humaine qui se met en place pour qu’il aille mieux. Pour qu’il aille vers l’amour. L’enquête, c’est l’histoire de quelqu’un qui est tout seul. Les gens qui l’entourent ne font que le précipiter d’une situation atroce à une autre. D’un côté, on a un monde avec les autres, un peu idéal ; dans l’autre, c’est une vision d’un monde horrifique où l’égoïsme prédomine. »

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Tous les soleils prend l’affiche le 29 juillet.