Alexandre Sokourov, qui a remporté avec Faust le Lion d’Or de la Mostra de Venise, est, dans la lignée d’Andreï Tarkovski, l’artisan d’un cinéma russe exigeant, consulté à l’occasion par Vladimir Poutine, mais dont l’oeuvre est plus connue en Europe que dans son propre pays.

Avec ce film inspiré du classique de Goethe, tourné en allemand et qui reprend l’histoire archétype du face à face avec le diable sous la forme d’une méditation sur la corruption du pouvoir, le réalisateur de 60 ans a achevé une tétralogie sur les dictateurs, le pouvoir et la folie humaine, entamée en 1999 avec un portrait fictionnel d’Adolf Hitler.

«Tout est en l’homme, le diable n’existe pas, et les gens doivent comprendre qu’il n’y a pas de limite en-deça de laquelle l’homme puisse s’abaisser», a-t-il expliqué à la télévision russe.

Un propos qu’Alexandre Sokourov pourrait adresser à la Russie, aux prises avec la corruption, la violence, et où les notions de bien et de mal ont fait le grand écart après l’effondrement du système communiste.

Mais le réalisateur, retranché dans sa ville de Saint-Pétersbourg à l’écart des cercles du pouvoir et des intrigues moscovites du milieu cinématographique, s’exprime rarement, composant son oeuvre patiemment, et ne fait pas de politique.

Auréolé de sa reconnaissance internationale, il est pourtant l’une des rares personnalités de la culture à avoir l’oreille de Vladimir Poutine. Il indiquait samedi devoir rencontrer prochainement l’homme fort du pays pour lui demander l’empêcher la privatisation des studios Lenfilm de Saint-Pétersbourg qui menace selon lui d’accélerer la disparition d’un cinéma de qualité.

«Le sang emplit les écrans. Il faut opposer des images humaines à ces marchandises agressives et violentes. Je me sens de jour en jour de plus en plus seul», disait-il déjà en 2003.

Avant le cinéma commercial, la violence et la vulgarité qui ont envahi les écrans du pays comme la télévision, Alexandre Sokourov a dû affronter au début de sa carrière un autre carcan, celui du cinéma soviétique.

Né en 1951 dans un village de la région d’Irkoutsk, il a vécu d’abord au fil des mutations de son père, militaire dans l’Armée rouge: Pologne, Turkménistan.

Après de premières études d’histoire à Gorki (actuelle Nijni Novgorod), il est admis à l’école de cinéma de Moscou, qu’il devra quitter avant terme en 1979, ses films d’étude étant dénoncés comme formalistes et antisoviétiques.

En 1980, il est cependant engagé comme réalisateur aux studios Lenfilm de Saint-Pétersbourg (Leningrad à l’époque), sur la recommandation du réalisateur Andreï Tarkovski (Andreï Roublev, Le miroir), dans la lignée duquel il s’inscrit.

«Sokourov fait des choses étranges et même inexplicables. Mais c’est un génie», dira un jour de lui Tarkovski.

Il a produit depuis lors une filmographie fournie mais peu connue dans son pays, tant dans le documentaire que dans la fiction.

Un cinéma souvent austère, à mille lieues de ce qui est projeté dans les salles de Russie.
Dans L’Arche russe (2002), un voyage dans le temps tourné intégralement dans les salles du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, il réalise ainsi le plus long plan-séquence de l’histoire du cinéma.

En 2006, c’est au violoncelliste Mstislav Rostropovitch et à son épouse la cantatrice Galina Vichnevskaïa qu’il consacre un long-métrage, Elégie de la vie.

L’année suivante, il s’essaie à l’opéra avec un classique russe, Boris Godounov (Modeste Moussorgski) au Bolchoï de Moscou.

En 2010, il s’est joint à la fronde d’une poignée de cinéastes russes contre le président de l’union des cinéastes Nikita Mikhalkov (Soleil trompeur), un autre pilier de la renommée internationale du cinéma russe dont les films ont pris un penchant de plus en plus nationaliste.