Bachir Lazhar et Mohammed Fellag étaient destinés à se rencontrer. L'acteur d'origine algérienne, célébré pour ses spectacles conçus pour «homme seul en scène», n'a pas raté l'occasion.

Alors qu'il était à l'aube de la trentaine, Mohammed Fellag a quitté son Algérie natale pour se «remplir» d'une autre culture, d'une autre façon de vivre, d'un autre continent. Alors qu'en ces années 70, son pays d'origine montrait des signes inquiétants de repli sur soi, l'acteur a pris ses cliques et ses claques et s'est offert quelques années de grands espaces.

«Je sentais chez nous l'arrivée d'un enfermement terrible et je n'avais pas du tout envie de me faire écraser, raconte la vedette de Monsieur Lazhar au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse un peu plus tôt cette semaine. En 1979, je me suis volontairement exilé. La plupart de mes compatriotes voulant faire de même à cette époque choisissaient la France; moi ce fut le Québec. Je n'en connaissais pratiquement rien, sinon la rumeur d'une formidable effervescence culturelle. J'avais envie d'aller loin, d'être étonné. Je suis parti d'un pays jeune pour aller vers un autre pays jeune. Les trois années passées chez vous furent remplies de bonheurs, de rencontres, de découvertes à tous les niveaux, tant sur le plan culturel que politique.»

Même s'il exerçait alors déjà son métier dans son pays d'origine, Fellag n'a pas du tout cherché à faire l'acteur au Québec. «Cela aurait été bien prétentieux de ma part, fait-il remarquer. J'ai plutôt vécu de petits boulots. Dès que j'en avais l'occasion, j'allais au théâtre, au cinéma, aux spectacles. J'avais envie de m'enivrer de la culture de ce pays, de me remplir. Mon séjour au Québec fut déterminant. Et m'a beaucoup inspiré quand j'ai recommencé à faire du théâtre à Paris dans les années 80.»

Le parcours de Fellag est intimement lié à celui de l'Algérie, pays dans lequel il est une immense star. L'ayant quittée une première fois dans sa jeunesse, l'artiste a dû s'exiler une seconde fois au milieu des années 90. Depuis Paris, il rayonne maintenant un peu partout, notamment dans les pays arabophones. Ayant récemment commencé la tournée d'un tout nouveau spectacle intitulé Petits chocs des civilisations, Fellag a dû décevoir à son grand regret ses admirateurs des Émirats arabes unis plus tôt cette semaine puisqu'il n'a pu accompagner la présentation de Monsieur Lazhar au Festival d'Abou Dhabi.

De nombreuses résonances


Bachir Lazhar, personnage d'abord créé à la scène grâce à la pièce d'Evelyne de la Chenelière, a évidemment trouvé un écho particulier auprès de Mohammed Fellag. L'histoire de cet Algérien exilé au Québec, qui se déniche un poste d'enseignant dans une classe primaire de façon pas trop «officielle» pour prendre le relais d'une enseignante disparue dans des circonstances tragiques, comporte bien des résonances avec celle de l'acteur.

«Il y a près de trois ans, rappelle Fellag, Michel Didym, un ami metteur en scène qui dirige La Mousson d'été, un festival où des acteurs sont invités à faire des lectures, m'a fait parvenir la pièce d'Evelyne de la Chenelière. Une vraie bombe. J'ai ressenti une très vive émotion à la lecture. Je me suis dit: Ostie c'est moi ça! (rires). C'est vrai, il y a plein de choses de Bachir qui me ressemblent, qui me parlent, que j'avais envie d'exprimer.»

Il fut d'abord question de monter la pièce sur scène. Puis, une rencontre avec Evelyne de la Chenelière lors d'un événement où les deux artistes participaient fut concluante. C'est d'ailleurs grâce à l'auteure que Philippe Falardeau a rencontré Fellag.

«Quand j'ai su qu'un film allait être tiré de la pièce, j'ai évidemment été intéressé tout de suite, explique l'acteur. Bachir, je le connaissais déjà. Je l'avais déjà rêvé. Quand j'ai reçu le scénario, j'ai vraiment été très impressionné. J'ai trouvé que Philippe avait magnifiquement traduit l'âme de la pièce, tout en inventant un univers autour du personnage. La puissance dramaturgique d'Evelyne est intacte.»

Ayant écrit et créé plusieurs spectacles «pour un homme seul» depuis une vingtaine d'années, Fellag consacre la majeure partie de ses énergies à la scène.

«Le cinéma est une sorte de récréation pour moi, note celui qu'on a pu voir notamment dans Michou d'Auber et Ennemi intime. Je tourne seulement quand mon emploi du temps me le permet. Un rôle comme Bachir, c'est précieux.»

Une longue gestation

De son côté, Philippe Falardeau porte Monsieur Lazhar en lui depuis une vingtaine d'années.

«En fait, je dirais que l'origine de ce film remonte à l'époque de ma participation à La Course destination-monde, explique-t-il. Je me suis alors retrouvé dans une position d'immigrant aux yeux des autres dans certains pays. J'ai été le minoritaire qu'on voit venir de loin. J'ai souvent cherché un angle pour aborder la question dans un film. La pièce d'Evelyne a tout déclenché. J'étais d'autant plus attiré par son approche que le drame d'immigrant que vit Bachir n'est pas au centre de sa pièce. Mais il enrichit un propos beaucoup plus large. J'ai tellement aimé ça que même s'il s'agit d'abord d'une pièce à un seul personnage, j'ai pratiquement vu le film se construire sous mes yeux! J'ai tout de suite imaginé cette classe d'enfants dans laquelle je «garrocherais» Bachir!»

Le film ayant déjà été présenté dans de nombreux festivals depuis deux mois, Falardeau a maintenant hâte d'entendre l'écho de ses compatriotes, particulièrement ceux qui gravitent autour du monde de l'éducation.

«Ce film est comme une photo Polaroïd, dit-il. Voilà où nous en sommes aujourd'hui. J'espère qu'on aura envie d'en discuter. Cela dit, je n'ai pas fait un brûlot. Je garde ça pour mon prochain film, qui sera à teneur politique!»

Rappelons que Monsieur Lazhar a été choisi pour représenter le Canada aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère. Soixante-six pays participent à la course cette année.

Monsieur Lazhar, aujourd'hui 19h au Cinéma Impérial; demain 15h au Quartier latin. En salle le 28 octobre.