Lorsque la cinéaste écossaise Lynne Ramsay a approché pour la première fois la maison de production BBC Films en proposant d'adapter au grand écran le roman controversé We Need to Talk About Kevin, on lui a répondu que l'ouvrage était trop noir.

David Thompson, qui était à la tête de la compagnie à l'époque, estimait que son personnage principal - une mère déprimée qui entretient une relation extrêmement conflictuelle avec son fils malveillant - était, «d'une certaine façon, rebutant», se souvient la réalisatrice.

Lynne Ramsay n'a pas jeté l'éponge. Se sentant presque obligée d'explorer ce qui lui semblait être un «sujet fascinant dont on parle trop peu souvent», elle a retravaillé le scénario inspiré de l'histoire de Lionel Shriver. BBC Films lui a finalement donné le feu vert.

«J'ai déjà vu des femmes qui ressentaient les mêmes choses, vous savez, qui regardent leurs copines développer instantanément un lien incroyable avec leur poupon et qui n'arrivent pas à en faire autant... alors j'ai pensé qu'il s'agissait d'un territoire dangereux et inexploré», a exposé Mme Ramsay en septembre dernier lors de son passage au Festival international du film de Toronto.

«Les films servent à provoquer autant qu'ils servent à susciter des interrogations. Je n'essaie pas de faire un constat sur la société. Je voulais en faire une oeuvre cinématographique pertinente et audacieuse.»

Présenté en grande première à Cannes en mai dernier, le long métrage «Il faut qu'on parle de Kevin» prendra l'affiche vendredi à Montréal, Toronto, Vancouver, Calgary, Edmonton et Ottawa et devrait se retrouver dans un plus grand nombre de salles au cours des prochaines semaines.

L'actrice oscarisée Tilda Swinton, qui a été primée en 2008 en pour son rôle de soutien dans Michael Clayton, prête ses traits à Eva, une avide voyageuse qui sombre dans la dépression après la naissance de son premier enfant, un garçon manipulateur qui est violent et défiant avec elle, mais qui s'entend à merveille avec son père (John C. Reilly).

On réalise, grâce aux sauts dans le futur qui ponctuent le long métrage, que Kevin a fait quelque chose de terrible qui a fait d'Eva une paria au sein de sa communauté.

L'acteur Ezra Miller, qui incarne Kevin à l'âge adolescent, n'a pas approché son personnage en le voyant comme un être bon ou mauvais.

«Il y avait une façon de jouer ce rôle de façon honnête, parce que Kevin aussi joue», a affirmé le jeune acteur élevé au New Jersey lors d'une entrevue avec Lynne Ramsay à Toronto.

«Dès le départ, j'ai pensé que je pouvais justifier les actes de Kevin de façon rationnelle et intellectuelle. C'est l'angle que j'ai choisi d'adopter.»

Lynne Ramsay, qui avait été remarquée en 1999 grâce à son film «Ratcatcher» a bouclé le tournage de ce film à «budget très très très modeste» en l'espace de 30 jours.

L'un des plus grands défis aura été la captation de la scène d'ouverture du film, dans laquelle on voit Eva se faire porter par la foule réunie au festival de la Tomatina, en Espagne. La scène a été tournée en août dernier, lors des célébrations. Lynne Ramsay disposait de 15 minutes avant que les équipes de nettoyage ne débarquent dans les rues de la ville.

«Les gens se foutent de qui vous êtes lorsque vous allez dans ces endroits. Quarante mille personnes en état d'ébriété rassemblées dans une rue étroite... C'était très dangereux. Je veux dire tous les acteurs ne pourraient le faire (...) Dieu merci, j'avais Tilda Swinton.»