Bully (Intimidation en version française) a déjà fait couler beaucoup d’encre. Le documentaire de Lee Hirsch s’intéresse au sort de cinq familles américaines marquées par le drame de l’intimidation. Cinq histoires pour briser le silence. Dans deux d’entre elles, on pleure le suicide d’un enfant.

Pendant toute une année scolaire, le cinéaste et son équipe, munis d’un équipement très léger, se sont plus particulièrement immiscés dans la vie d’Alex. Ce jeune garçon de 14 ans, qui fréquente une école de Sioux City dans l’Iowa, est régulièrement pris à partie par ses camarades à cause de son aspect physique un peu « différent ». Alex doit aussi vivre constamment sous la menace verbale et physique des jeunes matamores qui s’amusent à ses dépens. Les trajets en autobus sont infernales. Et portent atteinte à l’intégrité physique du jeune homme de façon si grave que Lee Hirsch a décidé de montrer aux autorités les images qu’il avait captées. Le bullying fait tellement partie des mœurs que les agresseurs n’ont pourtant que faire de la présence d’une caméra.

« Cela ne m’a pas surpris qu’ils agissent ainsi, a commenté le réalisateur plus tôt cette semaine au cours d’un entretien téléphonique. Les caméras font partie de la vie des jeunes. Elles sont partout. Ils ne sont pas intimidés du tout. Même si notre présence à leurs côtés était discrète pendant toute cette année, il n’aura pas fallu beaucoup de temps avant qu’ils fassent comme si nous n’existions pas ! »

Un cycle sans fin

L’intimidation en milieu scolaire existe depuis toujours. Lee Hirsch en a lui-même souffert à l’époque où il fréquentait une école secondaire au Vermont. À cette intimidation de cour d’école s’est aussi ajoutée celle issue des réseaux sociaux. Le cycle n’a désormais plus de fin. Et certains jeunes décident tristement d’en finir.

« Le problème était déjà très répandu à l’époque où je fréquentais l’école, mais on a l’impression qu’il est devenu encore plus aigu aujourd’hui, fait remarquer le cinéaste. À travers ce film, j’ai voulu donner une voix à ces 13 millions d’enfants qui sont victimes d’intimidation en Amérique. Ce phénomène n’est malheureusement pas exclusif aux États-Unis. Il traverse les frontières, les classes sociales, les âges aussi. Il s’agit d’un problème universel qui mine les rapports humains partout dans le monde. »

Parmi toutes celles qui ont été portées à l’attention du cinéaste, les cinq histoires évoquées dans Bully font partie des plus édifiantes.

« J’ai choisi de faire d’Alex le personnage principal du film car son histoire est exemplaire, souligne Lee Hirsch. De plus, l’établissement scolaire qu’il fréquente nous a laissé l’accès pendant toute l’année. D’une certaine façon, c’était assez courageux de leur part. Ils n’ont pas le beau rôle. Les agresseurs peuvent continuer leur jeu en toute impunité car les autorités les laissent pratiquement faire. D’ailleurs, les adultes de l’établissement ne semblaient pas trop savoir que faire de notre présence. À la fin, ils se sont certainement réjouis de notre départ. Je dois toutefois saluer le fait que ces gens ont honoré leur parole. Ils ont respecté leur engagement. Je l’apprécie grandement. »

Faire œuvre utile

Bully touche une corde sensible. Un élan de solidarité s’est créé avant même la sortie du film. La valeur sociale du documentaire prend ici tout son sens. Bully fera en outre l’objet de nombreuses projections spéciales destinées aux organismes voués à la protection des enfants, et aux intervenants du système d’éducation.

« On voudrait compter tous les jeunes d’Amérique du Nord qui verront le film, précise Lee Hirsch. On espère atteindre le million d’enfants. Nous avons reçu de nombreux appuis de la part de différents organismes. Plusieurs vedettes populaires soutiennent notre cause. On aimerait que ce million de jeunes spectateurs devienne réalité. »

Quand on lui fait remarquer que la culture d’intimidation a aujourd’hui contaminé toutes les sphères de l’activité humaine, politique, médias, téléréalités, etc., Lee Hirsch revendique la conscientisation.

« Je ne suis pas naïf, dit-il. Le problème de l’intimidation ne pourra jamais être complètement éradiqué. Mais on peut le résorber. C’est justement parce que la culture des adultes est contaminée par ce fléau qu’il faut d’abord réagir à la source. Le changement des mentalités viendra des enfants eux mêmes. Les réseaux sociaux peuvent aussi être un relais formidable pour cette conscientisation. Les jeunes partagent leurs histoires. Une pétition contenant plus de 500 000 signatures a circulé afin que le film devienne accessible à tous les publics aux États-Unis. Je trouve cette énergie très belle, très positive. Et ça donne foi en l’avenir. »

Autrement dit, Bully lance enfin une discussion sur un drame trop longtemps glissé sous le tapis. Lee Hirsch fait assurément ici œuvre utile. Il croit profondément aux vertus du cinéma pour aider à progresser vers une meilleure compréhension.

« Chaque geste compte, affirme-t-il. Le plus beau de l’affaire avec ce film, c’est que des jeunes se sentent désormais moins seuls à vivre le problème. Certains d’entre eux décident même de se tenir debout devant leur intimidateur. En quelque sorte, Bully est une thérapie collective. Je ne sais pas si un film peut changer le monde mais j’aime le croire. J’ai vu Cry Freedom quand j’étais jeune et ce film a carrément transformé ma vie. Pour toujours. »

Bully
(Intimidation en version française) prend l’affiche le 13 avril.