Reality de Matteo Garrone et Paradis: Amour d’Ulrich Seidl, présentés en compétition officielle aujourd'hui, se rejoignent dans leur façon d’aborder les illusions perdues...

> Le blogue de Marc-André Lussier en direct de Cannes

Il est question de téléréalité dans Reality, le nouveau film de Matteo Garrone. Le cinéaste italien, qui s’était distingué il y a quatre ans grâce à Gomorra (Grand Prix du jury à Cannes), s’attaque cette fois aux effets pervers d’émissions «poubelles» de style Big Brother ou Occupation double. Il décrit ainsi le parcours d’un jeune père de famille enclin à la fantaisie, qui ne craint pas les caméras, encore moins s’offrir en spectacle. Sous l’insistance de ses enfants, le modeste poissonnier, habitant un quartier non moins modeste de Naples, se présente aux auditions de la plus célèbre téléréalité d’Italie. À partir du moment où, à la suite d’une longue entrevue, il est retenu parmi les candidats potentiels, Luciano se laisse aller à une dérive dont la force entrainera aussi pratiquement tout son entourage.

Certain d’être choisi pour faire partie de ceux qui auront l’honneur d’entrer dans «La Maison», le pauvre bougre investit tous ses rêves, tous ses espoirs dans cette quête de notoriété et de gloire. Mais voilà. La date de la première diffusion approche. L’appel ne vient pas. Dans son esprit, on lui a assurément attribué le rôle de celui qui sera introduit en «surprise» auprès des autres lofteurs la semaine suivante. C’est la seule explication plausible. Tous les étrangers se présentant devant son petit commerce deviennent ainsi, forcément, des éclaireurs de l’émission venus s’assurer de la véracité de son histoire.

De façon clinique, Garrone expose le délire mental d’un type prisonnier du fantasme de la popularité, au point même où toutes ses actions seront désormais faites en fonction d’une caméra fictive. On sent la dénonciation de la télévision italienne, profondément transformée  sous l’influence de Berlusconi, mais le phénomène est bien entendu mondial. D’où cette impression de redite. Les dérapages de la téléréalité ayant déjà été maintes fois traités au cinéma, Garrone n’ajoute rien d’inédit au débat.

À vrai dire, l’aspect le plus intéressant réside dans l’interprétation d’Aniello Arena, remarquable dans la peau de Luciano. Arena, nous a appris Garrone hier, est membre de la Compagnia della Fortezza, une troupe constituée de détenus. «Il a obtenu l'autorisation de nous rejoindre pour le tournage mais pas celle de venir à Cannes», a déclaré le réalisateur sans préciser les motifs de l’incarcération de l’acteur. Un meilleur sujet de film peut-être. D’autant qu’Arena retiendra sans doute l’attention du jury quand viendra le temps de discuter du prix d’interprétation…

Sugar Mama

Le tourisme sexuel n’est pas que l’apanage des hommes. Certains jeunes Kenyans le savent bien. Et partent à l’affût d’une «Sugar Mama» potentielle dès qu’une femme blanche plus mûre se pointe à l’horizon. Dans Paradies : Liebe, premier volet d’une trilogie consacrée à l’amour, la foi, et l’espoir, Seidl montre frontalement la quête d’une Autrichienne quinquagénaire un peu enrobée en vacances au soleil, en mal de sexe et d’amour. Or, il ne s’agit pas là pour elle que d’une simple dépense pour faveur sexuelle obtenue. Une fois prise dans l’engrenage des beaux mots et des belles promesses, toute la fortune y passe. Et le fantasme d’une véritable relation sentimentale aussi.

Le cinéaste autrichien, dont nous étions sans nouvelles depuis Import Export en 2007, n’a jamais fait dans la dentelle. Sa caméra est crue. Elle montre les êtres dans ce qu’ils ont de plus dépouillé, de plus vulnérable. Son sujet n’est pas «aimable» non plus. À cet égard, Paradis: Amour est plus dérangeant que Vers le sud (Laurent Cantet), qui abordait le même thème. Certains festivaliers ont d’ailleurs rejeté le film de Seidl d’emblée, ne voyant que complaisance dans les batifolages sexuels de ces femmes dont les corps, montrés nus très souvent, ne correspondent en rien aux normes établies par les magazines de beauté. Paradis: Amour, au contraire, est un film aussi triste que courageux.