S'il y a un monde où l'on vit par procuration, c'est bien celui des bons et des méchants. Là où la frontière entre légalité et criminalité est plus embrouillée que l'on croit. Comme dans Omertà de Luc Dionne. Rencontre avec des acteurs heureux de marcher dans la pénombre.

Dans l'univers fascinant et foisonnant des bons et des méchants, ils ont tous leurs préférences, dans les romans comme à l'écran.

Patrick Huard se remémore la série Omertà dont il suivait chaque épisode «en direct».

Michel Côté évoque Henning Mankell. René Angelil parle des Sopranos. Rachelle Lefevre défend son côté «garçon manqué» aimant l'action et le suspense. Et Stéphane Rousseau se dit grand consommateur de «films de bandits».

Dans ce monde de flics et de criminels, ils rejoignent monsieur et madame Tout-le-Monde, titillés, accros et jamais vraiment rassasiés. Et pour le film Omertà, ils sautent à leur tour dans la peau de personnages pour lesquels on éprouve un mélange d'amour et de haine et qui nous tirent dans des eaux glauques infestées de requins.

En entrevue, le réalisateur Luc Dionne ne cache pas sa satisfaction d'avoir réuni cette distribution de grosses pointures. Il rappelle que son long métrage fait toujours écho aux trois séries des années 90 dont il a été le scénariste.

«De l'Omertà de la série, il reste le non-dit, toutes ces choses tues sur l'engagement réel de chaque organisation», dit-il. «On doit prendre le terme dans un sens large, dans celui des choses dont on ne parle jamais. Ce sur quoi on ferme les yeux, qui est à la limite du légalement acceptable et moralement condamnable.»

Dans le film, le policier Pierre Gauthier (Côté) a pris sa retraite et préside une agence de sécurité. Il accepte un jour le mandat d'enquêter sur une affaire de détournement de lingots d'or impliquant le chef de la mafia, Dominic Fagazi (Angélil), et le criminel Sam Cohen (Rousseau) qui fréquentent le restaurant de Steve Bélanger (Huard). Pour ce faire, Gauthier engage un agent double, Sophie (Lefevre). Mais qui est vraiment qui dans cette histoire?

Aller ailleurs

Tous se disent heureux d'incarner de tels personnages et d'aller aux antipodes de leur personnalité. Quoiqu'il y a des limites!

«Il faut admettre que je ne suis pas aussi violent que Tony Soprano, dit par exemple René Angélil. Je pense qu'ils ont été assez intelligents pour me proposer un scénario sans scène de violence m'impliquant. En raison de mes enfants, je n'aurais pas fait cela.»

Il a été dit mille fois que Luc Dionne et la productrice Denise Robert ont convaincu M. Angelil de se lancer dans l'aventure en lui disant qu'il n'avait qu'à être lui-même. «Au cinéma, ça ne se joue pas, le pouvoir, réitère Dionne. On l'incarne ou pas. Marlon Brando était comme ça. Et Dino Tavarone à l'époque des trois séries, il avait ce charisme. Tout est dans le regard.»

Titulaire des répliques les plus cinglantes, Patrick Huard est aussi celui qui propose l'analyse la plus cérébrale de son personnage. «Steve est un gars très égocentrique, très orgueilleux de sa superbe, dit-il. Il ne laisse un pouce à personne. Il va toujours utiliser les outils à sa disposition pour pousser l'autre dans ses derniers retranchements. Car l'attaque, c'est toujours la meilleure stratégie pour mentir.»

Stéphane Rousseau

Stéphane Rousseau a adoré explorer un côté méconnu de sa personnalité. «C'est libérateur à jouer, dit-il. Je ne suis pas méchant dans la vie, mais nous ne sommes pas que des êtres de lumière. Nous avons tous une partie sombre en nous et c'est drôle d'aller puiser là-dedans.»

Après une première audition pour le rôle, Luc Dionne et Denise Robert l'ont rappelé et lui ont demandé de revenir en se créant un look. Ça ne pouvait mieux tomber. «Jeune, je rêvais de faire du maquillage de cinéma, dit Rousseau. J'étais fasciné par ça. Je me suis placé devant le miroir, j'ai peigné mes cheveux vers l'arrière, me suis créé une balafre et cerné un peu. Et c'est le look qu'on trouve dans le film!»

Pour Rachelle Lefevre, le défi était double. Car pour la première fois, cette native de Montréal qui demeure à Los Angeles devait jouer en français. «J'ai mémorisé le scénario à la perfection pour ne pas faire de faute, dit-elle. Et pour les impros, je l'ai fait en anglais.»

Autrement, celle qui ne se voit pas dans les films «de filles» ou les comédies romantiques a assez facilement trouvé ses repères. «Sophie est une femme forte, très intelligente, un peu rough, dit-elle. Elle est à l'aise avec tous ces hommes tout en sachant quand elle doit jouer la séductrice. «Ça m'arrive assez souvent de jouer dans des productions entourée d'hommes.»

Michel Côté

Il reste le vétéran, Michel Côté, qui retrouve son complice Pierre Gauthier, incapable de dire non à une enquête d'une telle ampleur. «J'aime Gauthier, car j'ai l'impression d'être un petit garçon qui joue au cowboy, lance l'acteur. Dans le film, il ne peut dire non à la proposition, car il a le sentiment que ça lui donne un petit coup de jeunesse. Pour un gars de son âge, replonger dans l'action, c'est bien.»

Pour l'acteur, il y a un «stress épouvantable» à créer un nouveau personnage. Mais il y a tout autant de responsabilités à retourner dans la même peau. «C'est le problème des acteurs connus, philosophe-t-il. Toute notre vie, on veut être connu. Et une fois cela atteint, on veut que les gens nous oublient et croient encore à notre personnage. Donc ici, mon défi était de faire un Gauthier encore vrai.»

Omertà sort en salle le 11 juillet.

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Rachelle la généreuse

Foi de Stéphane Rousseau, Rachelle Lefevre a apporté une touche hollywoodienne sur le plateau d’Omertà en payant quelques traites. «Ce que je reconnaissais de l’école américaine est que certains jours, Rachelle offrait des pizzas ou de la crème glacée à toute l’équipe, dit l’humoriste-comédien qui a tourné autant en Europe qu’au Québec. C’est très sympathique, girly américain, gentil et généreux.» Qu’en dit l’intéressée? Rachelle Lefevre hausse modestement les épaules, détourne le regard et rougit un brin. «Ça me donne du plaisir, dit-elle en riant. Dans mon travail, il y a tellement de gens qui prennent constamment soin de moi, peu importe ce dont j’ai besoin. Alors, quand j’ai la chance de redonner, je le fais.»

L’impact du CCM

Des trois séries des années 90, le film Omertà a conservé la même ambiance, dit Patrick Huard. «Il y a les non-dits, les échanges de regards, les sous-entendus. Tout cela est resté, défend-il. Par contre, il note une «évolution du crime». «On est dans les hautes sphères de la business, observe-t-il. Les bandits sont tirés à quatre épingles. En proprio de restaurant, je portais des chemises improbables et super flyées.» C’est ici qu’entre en jeu le personnel du CCM, acronyme des services de coiffure, des costumes et du maquillage. Des artisans très importants pour Patrick Huard. «Pour moi et pour Luc [Dionne] aussi, dit-il. Je travaille toujours étroitement avec le CCM. Ces gens ont un impact important pour donner le look approprié au personnage en fonction de la scène qu’il a à jouer.»

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Une histoire puisée dans l’actualité économique

Le réalisateur Luc Dionne a puisé la trame du film Omertà dans l’actualité économique, sujet pour lequel il voue une passion dévorante.

«Depuis de nombreuses années, je m’intéresse à l’économie et surtout à la création de l’argent, dit-il. Je cherche à connaître ses origines, d’où vient cette invention. Par ricochet, je m’intéresse beaucoup à la question des métaux [or, cuivre, etc.].»

Le réalisateur dit consacrer de deux à trois heures par jour à nourrir cette passion. Or, un jour, en se documentant, il tombe sur cette incroyable histoire de lingots de tungstène qui auraient abouti à Fort Knox. De quoi causer une immense gêne chez les responsables de la grande réserve d’or américaine.

Sans trop entrer dans les détails, c’est cette histoire qui a servi à la construction du film qui demeure toutefois une pure fiction. Dans une entrevue à La Presse, le 23 mars 2011, pendant laquelle il avait parlé du tournage prochain de son film, le réalisateur avait dit: «Cette nouvelle était tellement grosse et, en même temps, elle est passée tellement inaperçue que je me suis dit que ça n’avait aucun sens. J’ai commencé à fouiller pour me rendre compte comment tout s’était passé, pourquoi c’était resté inaperçu et pourquoi l’affaire avait été étouffée.»

Le spectateur en apprendra davantage à la toute fin du film.

Des gens fascinants

M. Dionne s’est aussi intéressé au monde des agents doubles qu’il qualifie de «fascinant» et qui se trouve au cœur de l’histoire.

«À l’époque des trois séries, dit-il, j’ai interviewé 22 agents doubles, dont des Américains rattachés au FBI. Ces gens-là sont fascinants. Ils vivent à la limite. On est un flic et on a un chèque de paie, mais parce qu’on est un agent double, on se promène en Ferrari et on demeure dans une grosse cabane.»

De marcher ainsi sur le fil des deux côtés de la force a de quoi donner le vertige.

Stéphane Rousseau, qui a lui aussi une connaissance exerçant ce périlleux métier, fait un constat semblable. «Ça nous bouffe complètement, dit-il. J’ai vu cette personne se transformer avec les années. Psychologiquement, c’est très dur de s’affilier à des gens qu’on va plus tard arrêter et faire semblant que ce sont nos meilleurs amis.»

Et contrairement aux acteurs de cinéma, les agents doubles travaillent sans filet. «C’est un jeu d’acteur extraordinaire où il n’y a qu’une seule prise chaque fois, dit Rouseau. On ne peut pas se tromper. Sinon, on reçoit une balle dans la tête. Nous, quand on se trompe, on dit “coupez”, on prend un verre d’eau et on recommence. Pas eux. Eux, c’est la vraie game.»