La réalisatrice Kim O'Bomsawin présente pendant les Rendez-vous Québec Cinéma le documentaire Ce silence qui tue, film qui donne un visage au drame des femmes autochtones assassinées et disparues. Nous en avons parlé avec la sociologue devenue cinéaste.

Votre film se termine sur une note d'espoir. C'était votre objectif?

Oui. J'ai choisi l'angle de la vie. Le film porte sur des survivantes: des femmes qui auraient pu subir le même sort que les 1200 femmes disparues et assassinées, mais qui, par un concours de circonstances et beaucoup de chance, n'en font pas partie.

Malgré des histoires de vie assez pénibles, elles ont une résilience immense. J'ai voulu leur donner une vraie parole et entrer dans leur intimité, pour qu'on comprenne que ces femmes sont comme les autres.

Vous vouliez montrer que ce ne sont pas juste des chiffres?

Exactement. Mille deux cents femmes assassinées et disparues, ça reste abstrait. Mais il y a des humains derrière ces chiffres et c'est ce qui se cache derrière la construction de la mosaïque de photos qu'on construit pendant le film.

Je voulais trouver une stratégie visuelle pour montrer ces visages. On a rempli le panneau trois fois pour se rendre à 1200.

Vous vous demandez comment on peut briser le cycle de violence. Il y a le mot «amour» qu'on entend vers la fin du film aussi, qui est bien bouleversant...

Ce sont des gens qui n'ont pas appris à aimer. C'est dur d'entendre ça. Ils en sont conscients aussi. Tant les hommes que les femmes du film en sont à des moments différents dans leur chemin vers la guérison. Mais oui, j'ai fait ce constat: à un moment donné dans leur vie, on leur a dit qu'ils n'en valaient pas la peine. C'est ça, le cycle. J'ai travaillé très fort pour qu'on comprenne de quoi on parle quand on parle des traumatismes intergénérationnels. Qu'on y touche, qu'on le sente, que ce ne soit pas juste un expert qui nous l'explique.

C'est un sujet qui était très vaste. Comment avez-vous fait pour ne pas vous y perdre?

C'est un gros mandat qu'on nous a donné. C'est un sujet qui me touche depuis toujours en tant que femme autochtone, mais je veux remercier Canal D et APTN parce que ce documentaire est leur initiative. La commande était de faire un film qui s'adresse à un large public, de démystifier le sujet et que ce soit un film pancanadien.

Le fil, ce sont les personnages?

Oui. Mais aussi donner des clés de compréhension. On commence le film avec le gros de l'affaire, la problématique des femmes autochtones assassinées et disparues. On veut que les téléspectateurs se questionnent: mais pourquoi se mettent-elles dans des situations tellement à risque? Pourquoi se ramassent-elles dans le Downtown Eastside de Vancouver? Et tranquillement, on remonte la piste. J'ai l'impression d'expliquer les mêmes affaires depuis 10 ans, mais on n'a pas le choix de retourner aux problématiques des réserves et des pensionnats, parce que c'est tout ça qui fragilise les femmes. 

Comment êtes-vous arrivée au cinéma? 

C'est le cinéma qui m'a trouvée. J'ai fait une maîtrise en sociologie et je ne me destinais pas pantoute à ça. C'est un hasard de la vie. En socio, j'ai toujours travaillé sur les Premières Nations parce que j'avais toujours remarqué une grande incompréhension à notre égard, une méconnaissance. C'est la mission que je m'étais donnée et le cinéma est une belle façon d'y arriver.

À la base, le film a été fait pour la télé? 

Oui. C'est rare qu'on nous demande ça, mais les deux diffuseurs voulaient quand même un film de festival, qu'il ait une facture cinématographique. 

Et comment donne-t-on une facture cinématographique à un reportage fait pour la télé?

On s'entoure d'une équipe, on soigne la direction photo. J'ai travaillé les moments où on évoque des cas de femmes disparues en tournant des scènes plus poétiques plutôt que de choisir la voie de la reconstitution. Le film parle beaucoup, mais l'idée était de suivre les gens dans leur maison, qu'on ne soit pas dans des lieux désincarnés.

Vous n'étiez pas en colère, des fois, pendant le tournage?

Je suis davantage habitée par l'urgence d'agir, de parler, de montrer. Et comme le dit ce poème de Cohen qui m'a marquée, c'est dans les fissures qu'on trouve la lumière. Et malgré la dureté du sujet, j'ai vu beaucoup de lumière. C'est sûr que je ne donne pas de solution dans le film. Les gens me demandent: astheure, qu'est-ce qu'on fait ? Il faut juste s'intéresser, se questionner comme citoyens. Mais après, il faudra de grandes décisions politiques pour donner la possibilité aux gens de guérir. Les communautés saignent de partout et elle est là, l'urgence. La commission d'enquête est un exercice nécessaire, mais depuis qu'elle est commencée, il y a des dizaines d'autres femmes qui sont disparues ou qui ont été assassinées. Le cauchemar continue.

Quelle vie souhaitez-vous à votre film?

Qu'il ait une reconnaissance en festival. On a cette ambition. Et qu'il soit vu à la télé par le plus grand nombre, pour qu'on soit empathique à la cause de ces personnes et qu'on apprenne à mieux les connaître. Combler ce bout de chemin qui nous sépare. C'est un grand rêve que j'ai.

______________________________________________________________________________

Ce silence qui tue sera présenté mardi et mercredi prochains dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma. Il sera aussi diffusé sur APTN le 5 mars et à Canal D le 8 mars.

Kim O'Bomsawin participera à une table ronde sur la représentation des autochtones à l'écran mercredi prochain dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma.

Photo Donat Chabot, fournie par Présence autochtone

La cinéaste Kim O'Bomsawin