Pascale Bussières est porte-parole des Rendez-vous du cinéma québécois, qui se mettent en branle le 18 février. La comédienne a joué dans plusieurs films québécois en 2015, dont Les démons, Anna et Ville-Marie. Discussion sur la palette de couleurs du cinéma québécois.

Marc Cassivi: Si j'avais à définir le cinéma québécois par une couleur, ce serait le gris. Toi?

Pascale Bussières: Tu me lances ça comme ça! [Rires] C'est vrai que notre cinéma a une marque. Une espèce d'empreinte et de fatalité. C'est probablement un trait culturel parfois très intéressant, qui peut aussi parfois être perçu comme une redite, il faut le dire. Il y a certaines thématiques que l'on a beaucoup abordées...

Marc Cassivi: L'absence du père...

Pascale Bussières: Oui. Le rapport père-fils, les difficultés de communication, l'espèce de vide social abyssal, l'ennui, le désarroi.

Marc Cassivi: Ça donne un cinéma assez mélancolique.

Pascale Bussières: Parfois, je me demande si c'est notre nordicité qui fait ça. On a un rapport brutal à la réalité. Un rapport très frontal à la réalité, par opposition aux Islandais, par exemple, qui ont un rapport plus métaphorique à la réalité.

Marc Cassivi: Plus décalé...

Pascale Bussières: Cela les aide sans doute à passer à travers des hivers où il y a deux heures d'ensoleillement par jour!

Marc Cassivi: Il y a un problème de perception du cinéma québécois. On dit: «C'est gris, c'est déprimant, c'est ennuyeux.»

Pascale Bussières: «On va aller se suicider en sortant...»

Marc Cassivi: C'est là que je me dis, sans évidemment imposer de règles à des créateurs - on ne dit pas à un cinéaste quoi faire -, que les institutions ont peut-être le devoir de s'assurer qu'il y a une certaine variété de films et de genres cinématographiques dans une année.

Pascale Bussières: Cette année, quand même, entre Guibord s'en va-t-en guerre, Le mirage et Chorus de François Delisle, le spectre est assez large! Même s'il y en a plus d'un côté que de l'autre...

Marc Cassivi: Plus dans le gris que dans l'orangé.

Pascale Bussières: Peut-être. Il y a des années comme ça. Il n'y avait pas de film phare, cette année. Il y a des films qui ont été plus populaires, comme Le mirage ou Paul à Québec, qui, malgré son sujet, a de l'humour et est assez bon enfant. Et il y a les purs et durs, comme Chorus.

Marc Cassivi: J'ai beaucoup aimé Chorus. On a beaucoup parlé des absents aux Jutra: Le mirage, Paul à Québec. Pour moi, le plus grand absent, c'est Chorus.

Pascale Bussières: Pourtant, avec Chorus, on est vraiment dans le gris! C'est la ligne dure.

Marc Cassivi: J'haïs pas ça, la ligne dure! Moi, ce que je remarque, c'est les différents tons de gris. Je prendrais du gris radical, mais autre chose aussi: du rouge, du jaune. Je comprends ce public qui se dit un peu assommé par le gris du cinéma québécois. On devrait collectivement y réfléchir et réagir. Quand on voit plein de films québécois aux thématiques sombres prendre l'affiche en même temps, ça nourrit l'impression qu'on se complaît dans le gris, le froid et la déprime.

Pascale Bussières: Le problème, c'est que les films prennent souvent l'affiche les uns après les autres, dans une même période. Ces films-là sont très bons individuellement. On a une maîtrise incroyable qui nous vient probablement de notre héritage, du cinéma de Perrault, de cette façon d'être proche de l'humain, très collé sur la réalité, dans la tradition du documentaire. C'est vrai que lorsqu'on en voit quatre ou cinq en ligne, c'est beaucoup. Mais quand on voit quatre ou cinq films hollywoodiens en ligne, c'est beaucoup aussi!

Marc Cassivi: Beaucoup de lecteurs m'écrivent pour me dire: «On aimerait bien aller voir des films québécois, mais on n'habite pas Montréal et il n'y en a pas beaucoup qui sont diffusés près de chez nous.» Il y a un problème de perception, mais il y a aussi un problème de distribution...

Pascale Bussières: J'étais sur la Côte-Nord, récemment, pour présenter Ville-Marie, et effectivement, en dehors des festivals, il n'y a pas beaucoup d'accessibilité aux films québécois. Le paradoxe, c'est que le cinéma québécois voyage beaucoup et est le chouchou de bien des festivals. Denis Côté est en compétition à Berlin, Philippe Lesage (Les démons) était en Scandinavie cette semaine, sans parler de Xavier [Dolan] et de tous les autres.

Marc Cassivi: Aujourd'hui, les gens ont accès à la maison à une offre tellement plus abondante qu'il y a dix ans. On ne peut pas en faire abstraction...

Pascale Bussières: Oui, mais ce ne sera jamais le plaisir d'aller au cinéma! Même si le film est heavy métal. Ça sert à ça aussi, le cinéma. Ça sert à faire réagir, à créer le débat, à rentrer chez soi et à avoir une discussion sur notre façon d'observer le réel. Tant mieux si on se questionne collectivement sur notre manière d'appréhender la vie.

Marc Cassivi: Je suis d'accord avec toi. C'est notre regard sur notre réalité. Pas celle de cinéastes américains. C'est peut-être ce que l'on sous-estime quand on préfère un film hollywoodien à un film québécois. Le cinéma n'est pas juste une succession d'effets spéciaux.

Pascale Bussières: Le mirage, par exemple, c'est une réalité très québécoise à laquelle on adhère comme public. Mais c'est vrai que parfois, comme actrice, j'ai envie d'un cinéma plus éclaté. D'univers plus éclatés.

Marc Cassivi: Et moi donc comme spectateur! Pourquoi il n'y a pas de Wes Anderson, de Spike Jonze ou de Michel Gondry québécois?

Pascale Bussières: Il y a peut-être une question de financement? J'en ai lu, des scénarios pétés qui n'ont pas eu de financement.

Marc Cassivi: Ce ne sont pourtant pas les films qui coûtent le plus cher, généralement. En même temps, ce n'est pas cette année que l'on a découvert que le cinéma québécois était gris. Je l'écris depuis au moins 15 ans et je ne suis pas le seul. Ça nous représente certainement d'une manière comme d'une autre.

Pascale Bussières: On n'a pas envie, collectivement, d'être représentés comme gris! [Rires] Mais certainement que ça veut dire quelque chose et que des thèses ont été écrites là-dessus. Je crois vraiment que c'est lié à notre rapport au réel. Notre cinéma est souvent exigeant. Il nous renvoie une image qu'on ne veut pas toujours voir de nous-mêmes. C'est un cinéma très honnête.

Marc Cassivi: Il reste que les gens vont peu voir les films québécois...

Pascale Bussières: Je pense que cette année a été difficile parce qu'il n'y avait pas de film phare faisant office de locomotive. L'attention était répartie un peu partout.

Marc Cassivi: Il y avait beaucoup de bons films, mais on ne s'est pas emballés pour un Mommy, par exemple. Est-ce qu'on fait trop de films, selon toi?

Pascale Bussières: Je ne pense pas que l'on puisse en faire trop, honnêtement. Il y a tellement de créateurs. Le problème, c'est qu'il manque de monde sur ce vaste territoire!

Marc Cassivi: On a produit 42 longs métrages de fiction au Québec l'an dernier. Si on concentrait nos efforts sur une trentaine de films en leur donnant plus de moyens?

Pascale Bussières: Il faudrait surtout que tous les films ne sortent pas pendant un mois et demi à l'automne. Il y a un engorgement épouvantable. Il y a un phénomène de cannibalisation. On peut y aller l'hiver au cinéma, voir des films québécois, même s'il fait froid!