Après avoir traîné son oeil pendant plus de 40 ans aux quatre coins du monde, Raymond Depardon fait le point dans Journal de France, film de clôture des Rencontres internationales du documentaire de Montréal.

Depuis le temps qu'il pose son regard discret sur les gens, peu importe si la grande histoire se pointe ou non devant l'objectif de sa caméra, Raymond Depardon a conservé presque autant d'images inédites dans sa remise que dans son esprit. Ses trésors sont composés de chutes inutilisées, de bouts de reportages, d'archives photographiques. Surtout, on peut trouver dans ces précieuses boîtes les traces de la démarche de l'un des plus grands documentaristes de notre époque. Avec sa fidèle complice - et ingénieure du son - Claudine Nougaret, avec qui il partage sa vie depuis longtemps, Raymond Depardon est parti sur les routes de France pour tenter de capter l'air du temps, tout en posant un regard rétrospectif sur son propre parcours.

«La France, c'est assez compliqué, dit d'un ton enjoué ce fils d'agriculteurs lors d'un entretien téléphonique. On associe trop souvent la France rurale à la question de l'identité nationale, cela devient parfois difficile. Quand j'ai commencé à m'attarder aux paysans, il y a une dizaine d'années, on m'a dit que le sujet n'intéresserait personne. Or, j'ai finalement eu le soutien des chaînes de télévision publiques. Je me dis que j'ai bien fait de m'obstiner. La France change, bien sûr. Mais pas tant que ça. D'un endroit à l'autre, il y a toujours les mêmes artisans, les mêmes vieux qui discutent ensemble sur un banc public, les mêmes monuments aux morts.»

Un collage

Dans Journal de France, des films d'archives, tournés lors d'événements marquants, s'insèrent dans le portrait de l'artiste, dessiné par la femme qui l'aime. De la Centrafrique de Bokassa jusqu'à Prague envahie par les chars d'assaut soviétiques, la grande histoire fait contrepoint au parcours intime, conjugué au présent. Il en résulte une espèce de collage duquel émane la passion du cinéaste pour ses contemporains.

«Si je m'étais écouté, il y aurait eu beaucoup plus de scènes du passé dans ce film, fait pourtant remarquer Raymond Depardon. C'est très étrange. Surtout pour un documentariste. Je me rends compte que j'ai du mal à faire le deuil des images du passé, même si j'anticipe continuellement le prochain film que je ferai!

«Et puis, poursuit-il, tous mes pairs ont disparu ou presque. Perrault, Rouch, Marker. La forme documentaire est maintenant coincée entre la fiction, qui emprunte un rythme de plus en plus rapide, et la télé qui formate tout, avec une puissance de diffusion énorme. Qu'est-ce qu'il nous reste, nous, indépendants? Auparavant, nous étions considérés comme des pionniers. Mais maintenant?»

Admirant l'école du cinéma direct, Raymond Depardon s'est toujours fait un devoir de capter les images les plus authentiques.

«Quand j'étais jeune, je regardais les films des cinéastes canadiens de l'époque en me demandant si je parviendrais seulement à faire aussi bien qu'eux. Ils étaient vraiment les plus forts dans le domaine du cinéma direct. Je tiens à capter le naturel des gens, de me faire oublier le plus possible. Quand je dis moteur, action, j'essaie de faire en sorte que mon regard soit le plus authentique possible et, surtout, qu'il n'ait rien de spectaculaire.»

Fermeture d'un chapitre

Avec le film somme qu'est Journal de France, le cinéaste a l'impression de fermer un chapitre. Il ne sait pas encore de quoi l'avenir sera fait. «Je n'ai jamais suivi la voie royale, dit-il. Ni en photo ni en cinéma. Pour l'instant, je n'ai pas de projet précis. Et je me demande si je dois me placer en position d'écoute, ou raconter une histoire plus personnelle. Autrement dit, je me demande si je suis un observateur ou un storyteller

La réponse ne devrait pas trop tarder.

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Journal de France est présenté samedi à 19h (sur invitation) et dimanche à 15h à la Grande Bibliothèque dans le cadre des 15es Rencontres internationales du documentaire.