Rivière mythique du Nord québécois, la Rupert a toujours été un garde-manger pour les Cris et occasionnellement les trappeurs et aventuriers depuis l'époque de la Nouvelle-France. Aujourd'hui, la longue artère fluviale a perdu de sa superbe. Son cours a été perturbé, transformé et amoindri lors de son harnachement à des fins hydroélectriques.

Jeune cinéaste, Nicolas Renaud s'est intéressé à ce sujet et en a fait le tour avec brio dans un film documentaire qui donne la parole à tous ceux qui s'intéressent à la Rupert, par intérêt économique, scientifique, gastronomique ou platonique.

Photographe autochtone de Waskaganish (anciennement Fort Rupert, premier poste de la Compagnie de La Baie en 1668), Ian Diamond est le fils du grand chef des Cris Billy Diamond. Il a pris des photos dès 2005, soit avant la dérivation de la Rupert. Cela permet de constater combien le cours de l'ex-fleuve furieux a changé et combien les rives ont... dérivé, marquées par l'énorme baisse du débit. Quelque 70 % des eaux ont été détournées, apprend-on dans La nouvelle Rupert.

Le film permet d'assister à la construction du barrage, notamment son canal de dérivation. Denis Groleau, chef de chantier, expose la position d'Hydro-Québec, notamment les efforts qui ont été déployés pour amenuiser le plus possible les conséquences du projet. Mais les autochtones sont à tout le moins circonspects.

«J'étais en faveur à cause des emplois mais il a fallu beaucoup de réflexion et ce n'était pas facile», dit un trappeur en regardant le paysage transformé. «Quand on triture la nature, seulement le futur nous dira quelles en seront les conséquences», ajoute un travailleur social du village local de Nemaska.

On découvre dans ce film qu'un site archéologique a été ennoyé à cause de la création du réservoir du barrage. L'archéologue David Tessier explique qu'il y a déjà eu là une zone de frayage d'esturgeons. Les scientifiques ont trouvé sur place des objets en quartzite, des couteaux et des pointes de flèches.

«Il y a des tombes sous l'eau, ajoute l'autochtone Ian Kelly. Ça empêche de dormir de penser que ces tombes sont sous l'eau. On se demande toujours si l'eau est entrée dans les tombes ou si elles sont encore au sec.»

À la fin de l'été, le poisson cisco remonte la rivière Rupert pour frayer. Les Cris le ramassent à l'épuisette depuis des siècles grâce à des barrages de pierres. Selon les autochtones, ces pêches ont diminué. Hydro-Québec aide les locaux à trouver des poissons... avec des méthodes géophysiques. On réintroduit également des esturgeons grâce à une écloserie implantée dans la région et qui fait travailler de jeunes cris.

À la fin du film, un autochtone explique qu'il aurait préféré que les Cris refusent l'argent et gardent leur rivière et le territoire comme ils étaient. «On aurait créé nos propres sources de revenu, dit-il, avec l'énergie éolienne par exemple.»

La nouvelle Rupert est un très bon documentaire avec des images splendides de cette région située au nord du lac Mistassini et où les populations autochtones et allochtones essaient tant bien que mal de rattacher ce qui a dérivé.

La nouvelle Rupert sera projeté vendredi à 21h à la Cinémathèque québécoise.

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LA NOUVELLE RUPERT. Documentaire de Nicolas Renaud (Canada), 1h08.

Photo: images tirées du film La nouvelle Rupert.