Dans un grand festival de cinéma, hormis les films de la compétition officielle (ou les sélections hors concours prestigieuses), les productions retenues dans les sections parallèles ont toujours un peu plus de difficulté à se faire valoir. Un film comme Maudite poutine, premier long métrage de Karl Lemieux, a d'autant plus de mal à se distinguer qu'il se situe dans la frange plus radicale d'un cinéma qui préfère explorer de nouvelles formes de langage.

À la projection destinée à la presse, samedi, on comptait assez peu de journalistes. La conférence de presse de l'équipe s'est déroulée hier devant une vingtaine d'entre eux. Et la modératrice a posé toutes les questions.

En revanche, la projection officielle a eu lieu à la Sala Darsena, une très grande salle pouvant accueillir 1409 spectateurs. Au moment où nous nous y sommes pointés, elle était pleine à environ 75 %.

«Dans le contexte d'une première expérience, mes attentes étaient assez basses, a confié Karl Lemieux à La Presse. Dans le processus, je me disais qu'on enverrait probablement ce film-là au Chicago Underground, ou à des événements du genre, sur un circuit parallèle.»

Tout un honneur

D'avoir été retenu à la Mostra en sélection officielle, dans la section «Horizons» (un volet compétitif comparable à Un certain regard au Festival de Cannes), constitue, aux yeux du cinéaste, une agréable surprise. D'autant que Maudite poutine a d'abord été soumis à Venice Days, une section complètement parallèle du festival, par laquelle sont déjà passés Denis Villeneuve et Jean-Marc Vallée.

«Venice Days n'a pas retenu le film, mais l'offre des sélectionneurs d'Orizzonti est arrivée ensuite, ce qui est encore mieux. J'ai trouvé ça extrêmement touchant. C'est tout un honneur d'être ici. Il faut l'apprécier. Ce film a été fait avec peu de moyens. De l'avoir terminé constitue déjà une victoire. Le reste, c'est du bonus!»

Le producteur Sylvain Corbeil, de Métafilms (Félix et Meira, Boris sans Béatrice, Juste la fin du monde), précise de son côté que l'objectif à Venise est d'obtenir le plus de visibilité possible en décrochant des sélections prestigieuses internationales.

«On sait très bien qu'un film comme Maudite poutine aura du mal à trouver son public au Québec s'il n'est pas appuyé par une belle carrière internationale, fait-il remarquer. Pour commencer, on ne pouvait pas demander mieux que cette sélection dans Orizzonti à Venise. On a eu une offre de Locarno aussi. Ce fut un peu difficile de choisir entre les deux.»

Pas au TIFF

La stratégie semble avoir porté ses fruits, car le producteur a été avisé par le vendeur international que le film était déjà promis à une dizaine de festivals étrangers.

«On espère un automne assez riche afin de pouvoir sortir le film au Québec au mois de janvier, déjà fort d'une bonne réputation», précise Sylvain Corbeil.

Celui-ci ne cache toutefois pas sa déception à propos du festival de Toronto - qui, étonnamment, n'a pas retenu le film. Pourtant, le TIFF a souvent sélectionné des courts métrages de Karl Lemieux au fil des ans. Et il a la réputation de soutenir les cinéastes qu'il a révélés.

«Mais ce n'est pas la fin du monde, déclare le producteur. Le film sera quand même présenté au marché. Plusieurs professionnels voient des films à Venise et vont ensuite à Toronto pour conclure des ententes. Cette absence ne nous nuira pas, mais c'est certain qu'on aurait aimé être sélectionné à Toronto aussi. On ne comprend pas trop ce qui s'est passé.»

À prendre ou à laisser

Et le film, dans tout ça? À prendre ou à laisser. Fort intéressant sur le plan esthétique et formel, Maudite poutine reste quand même une proposition radicale. Karl Lemieux y expose une démarche singulière, issue du cinéma expérimental, et met aussi à contribution son instinct de musicien. Ce sombre drame, tourné en noir et blanc (beau travail du directeur photo Mathieu Laverdière), met toutefois de l'avant un récit plus convenu sur le plan narratif.

Jean-Simon Leduc interprète le rôle d'un musicien qui, dans le pétrin à cause d'une affaire de drogue, retourne dans son village d'enfance. Par la force des choses, il renoue avec les gens de la place, mais surtout avec son frère aîné (Martin Dubreuil), un être lui-même aux prises avec ses propres démons.

Rien de bien original à cet égard, mais grâce à la manière, l'ensemble produit parfois un effet hypnotique rappelant le cinéma de Philippe Grandrieux.

Maudite poutine prendra l'affiche au Québec le 27 janvier 2017.