Absent de la première de son film Arrival à cause du tournage de la suite de Blade Runner, Denis Villeneuve a fait un petit saut à Venise pour rencontrer les médias internationaux. Et discuter un peu...

Une salle de conférence un peu froide au premier étage de l'Hôtel Excelsior, l'un des mythiques palaces du Lido. Au centre trône une grande table circulaire autour de laquelle une vingtaine de chaises sont installées. Il y a quelques instants à peine, Denis Villeneuve a répondu aux questions d'autant de journalistes. Il a fait exactement la même chose 20 minutes auparavant; il le fera de nouveau dans 20 minutes. Le programme de toute sa journée est un long enchaînement de courts entretiens. Une petite parenthèse, quand même, dans cet horaire spartiate, tiré au cordeau: un entretien seul à seul avec un journaliste compatriote, celui de La Presse.

Le grand Denis a les traits un peu tirés; cela se comprend. Le son de sa voix est plus doux, plus posé. On devine bien que depuis maintenant des mois, son rythme de vie est infernal. Il dit vivre sa journée de promotion à Venise comme une abstraction.

«Quand Arrival a été présenté ici jeudi, j'étais en train de tourner, explique-t-il. J'étais derrière la caméra et on me remettait des messages! Ce que je trouve difficile avec la sortie de ce film, c'est que je n'ai pas eu encore le temps de le digérer, de me positionner moi-même par rapport à lui. Ç'a l'air bizarre à dire, mais un moment donné, il faut que tu t'arrêtes et que tu te demandes ce que tu penses vraiment de ton film. Et ça, je n'ai pas encore eu le temps de le faire.

«En plus, poursuit-il, j'ai envoyé les deux acteurs au front! Je sais qu'Amy [Adams] et Jeremy [Renner] aiment beaucoup ce film, qu'ils sont fiers d'aller le présenter. Mais quand même, si on s'était fait ‟pitcher" des tomates, ça aurait dû être à moi de les recevoir, pas eux. Que l'accueil ait été bon a été un gros soulagement!»

Un tournage accaparant

La conversation a commencé par une simple question: «Dis donc, Denis, comment va ta vie?»

Or, la vie de Denis Villeneuve, actuellement, est entièrement dévolue au tournage de la suite de Blade Runner. Depuis le mois d'avril, le cinéaste québécois vit à Budapest, où le film est entièrement tourné. On en est aujourd'hui à la mi-parcours d'un tournage qui devrait prendre fin au mois de décembre. Il reste encore environ 45 jours. En tout, au moins 95 jours de tournage sont nécessaires.

«Ma vie, présentement, est intense! dit-il. L'entreprise est énorme. Même si ça fait un an et demi que je travaille sur ce projet, qu'on est prêts, il reste que c'est très exigeant. Je suis habitué de prendre des décisions, mais là, avec la pression qui s'ajoute... En même temps, j'ai du temps pour bien faire les choses. Je n'en ai jamais eu autant.»

La date de sortie de la suite de Blade Runner (qui n'a toujours pas de titre) est déjà fixée: 6 octobre 2017. Pour une production de cette envergure, truffée d'effets visuels et spéciaux, cette échéance ne laisse guère de jeu.

«J'ai vécu ça avec Prisoners aussi, rappelle-t-il. C'est comme si les studios prenaient un élastique avec la journée de sortie: ils étirent le slingshot et pis ça part. Tu n'as plus de marge d'erreur. Je dois tout prévoir, m'assurer à ce que tout soit prêt. Le tournage a d'ailleurs commencé sur les chapeaux de roue. Tout cela fait augmenter la pression.»

Une seule concession

Cette suite de Blade Runner sera proposée en 3D, mais il s'agira d'une version où les effets en relief auront été ajoutés en postproduction.

«Je n'en voulais pas du tout, mais on n'a pas eu le choix, explique le cinéaste. C'est la seule concession que j'ai faite, la seule bataille que j'ai perdue. Pour le studio, il est impensable de ne pas faire une version 3D d'un film comme celui-là. Comme je n'ai jamais considéré le tourner directement en 3D, nous nous sommes entendus pour ajouter les effets ensuite. Techniquement, c'est très compliqué comme film. Le défi est déjà assez énorme comme ça.»

Pour les gens de l'industrie, tout autant que la confrérie critique, Denis Villeneuve fait désormais partie des cinéastes les plus importants du moment. Arrival ne fait que confirmer ses qualités exceptionnelles de réalisateur. Il peut désormais choisir les meilleurs projets, les plus grandes stars, les meilleurs scénaristes, les plus grands techniciens. Les journaux spécialisés traquent maintenant le moindre de ses mouvements. Chacune de ses décisions fait la manchette.

«Je n'ai pas vraiment conscience de tout ça parce que je suis toujours occupé, fait-il remarquer. Mon rapport avec le cinéma est très terre à terre. En fin de compte, ça reste encore du travail avec une caméra et des acteurs. Et puis, on en a vu des cinéastes arriver, faire quelques films et se faire ensuite montrer la porte de sortie parce que ça ne fonctionne pas. Tout ça est bien fragile. C'est la raison pour laquelle le bel accueil qu'a obtenu Arrival m'a grandement soulagé. Prisoners et Sicario ont déjà été bien reçus. Si celui-là l'est aussi, ça me donnera peut-être encore plus de liberté.»

«J'aimerais beaucoup retourner à l'écriture, ou travailler avec un scénariste, plus en amont des projets.»

Il est clair dans son esprit qu'il n'acceptera aucun autre projet avant que la suite de Blade Runner ne soit terminée.

«Je suis parti à Budapest la journée après avoir fini Arrival. La superposition des deux films, ç'a été difficile. Arrival n'est pas un petit film non plus. Donc, là, je n'accepte rien. Je préfère me concentrer entièrement sur le film sans avoir à me préoccuper déjà du prochain.»

Du fun avec Ryan...

Au moment où vous lirez ces lignes, Denis Villeneuve aura déjà regagné ses pénates à Budapest. Il aura aussi retrouvé sa vie intense, si intense qu'il ne pourra même pas se rendre dans la Ville Reine pour aller présenter son film au TIFF. Il aura aussi retrouvé l'acteur Ryan Gosling, avec qui il s'entend à merveille.

«Ryan et moi sommes des immenses fans de Blade Runner. On s'est dit dès le départ que le projet est magnifique mais que nos chances de succès sont extrêmement limitées. Donc, on a beaucoup de plaisir à jouer dans une zone de risque aussi épouvantable. Et moi, j'ai vraiment du fun avec lui. Je n'ai jamais eu autant de fun avec un acteur. C'est effrayant!»

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Arrival prendra l'affiche le 11 novembre 2016.

Blade Runner 2 prendra l'affiche le 6 octobre 2017.