Entre 1969 et 1984, 11 longs métrages signés Jean-Pierre Lefebvre ont été sélectionnés dans l'une ou l'autre des sections du Festival de Cannes. C'est plus que tout autre cinéaste québécois.

Le réalisateur de La trilogie d'Abel (restaurée par le programme Éléphant - mémoire du cinéma) s'est pourtant fait beaucoup plus discret au cours des 20 dernières années.

Les présentations au FNC des films Il ne faut pas mourir pour ça (1967), Le vieux pays où Rimbaud est mort (1977) et Aujourd'hui ou jamais (1998), trois longs métrages construits autour d'un personnage qu'incarne Marcel Sabourin, donnent ainsi l'occasion aux nouvelles générations de découvrir une partie de l'oeuvre d'un cinéaste majeur, dont les films sont un peu tombés dans l'oubli.

Est-ce qu'Il ne faut pas mourir pour ça a été conçu comme le premier volet d'une trilogie au départ?

L'envie d'une trilogie s'est manifestée pendant le tournage du film. Marcel Sabourin et moi, on s'est dit qu'il serait intéressant de faire revivre ce personnage à plusieurs étapes de sa vie parce que, d'une certaine façon, il symbolise aussi l'évolution du Québec. C'est très poétique et très politique en même temps. Je suis très touché par cette présentation au FNC. C'est comme un hommage à une époque, à un cinéma qui n'existe plus vraiment. Quand je vois les films d'aujourd'hui, faits avec de grands moyens, j'ai parfois tendance à penser que les miens ne valent plus rien. Mais quand je pense aux aventures humaines de mes films, aux équipes, à l'amitié, à l'amour, je me rappelle alors que chaque aventure a été passionnante et qu'elle méritait d'être vécue.

Vous êtes l'un des rares cinéastes de cette époque à avoir commencé votre carrière en faisant de la fiction, sans être passé par le cinéma direct ou l'ONF.

Denis Héroux aussi. Mais nous avons emprunté des voies très différentes. J'ai toujours considéré avoir fait du «cinéma de chambre». J'admirais le cinéma de Bresson, Mizoguchi, Renoir. Le film de ma vie est Umberto D. de Vittorio De Sica. Ou l'art de créer tout un univers à partir d'un grain de sable. Je dois aussi beaucoup à Michel Brault et Pierre Perrault. Perrault disait que chaque film était une nouvelle page de notre album de famille. Gilles Groulx était mon père spirituel. On fouillait la réalité québécoise comme des anthropologues.

Le cinéma québécois a beaucoup changé depuis cette époque, comment voyez-vous cette évolution?

Je souffre beaucoup, pour Groulx notamment, du fait qu'on rejette tout le cinéma de cette époque du revers de la main. J'ai l'impression que les liens ont été très fragilisés entre notre cinéma d'origine et le cinéma actuel. Qu'il n'intéresse désormais que les cercles universitaires et cinéphiles. Quand avons-nous vu Le chat dans le sac sur une chaîne de télévision généraliste? Le cinéma québécois n'a pas commencé seulement à l'époque des grands succès commerciaux. Je ne dénigre pas ce cinéma-là, mais je dis seulement qu'il a aveuglé tout ce qui s'est passé avant.

Vous reconnaissez-vous dans le cinéma québécois d'aujourd'hui?

J'avoue que c'est un peu difficile. La rupture entre hier et aujourd'hui s'est faite quand le fond documentaire est disparu de notre cinéma pour céder la place au divertissement pur. On veut copier ce qui se fait ailleurs. Sur le plan technique, on a franchi l'Himalaya, ça, c'est sûr. J'ai toujours été préoccupé par les ruptures entre les générations, même quand j'étais jeune. Les dernières fiançailles, c'était ça. La pire douleur dans la vieillesse est de ne plus pouvoir partager cette expérience. C'est pourtant à la base de notre culture. Cette transmission est essentielle.

Votre dernier long métrage pour le cinéma remonte à Aujourd'hui ou jamais, réalisé il y a presque 20 ans. Comptez-vous y revenir un jour?

J'ai tourné un film en 2009, intitulé La route des cieux, mais comme le distributeur m'a laissé tomber, il reste toujours sur les tablettes. Je travaille aussi à un film personnel, mais j'essuie des refus. En fait, je me consacre beaucoup à l'écriture depuis quelques années et je vais probablement m'en tenir à ça. J'écris notamment un essai sur la création. Je suis attiré par la science-fiction aussi. Alors, je m'amuse. L'expression «le bon vieux temps» est fausse, car en vérité, il s'agissait du «bon jeune temps». Le bon vieux temps, pour moi, c'est maintenant. Et je m'occupe à ce qu'il soit bon. À 75 ans, je suis heureux dans ma vie, je ne souffre d'aucune nostalgie, d'aucune amertume. Je n'ai pas de regrets non plus, au contraire. Et j'espère vivre le plus longtemps possible pour avoir l'occasion d'échanger avec ma toute première petite-fille, née cette année.

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Il ne faut pas mourir pour ça, Le vieux pays où Rimbaud est mort, et Aujourd'hui ou demain seront présentés au cours des prochains jours au Festival du nouveau cinéma de Montréal. Offerts aussi sur Éléphant.

Photo fournie par le FNC

Il ne faut pas mourir pour ça (1967)