Samedi soir, le Festival du nouveau cinéma attribuera une Louve d'honneur au cinéaste, scénariste et metteur en scène François Girard à l'occasion de la présentation de son film Boychoir. Ce prix lui sera remis par le cinéaste torontois Atom Egoyan.

Les deux hommes sont de bons amis. En dépit de leurs horaires chargés, ils ont pris le temps de participer à un entretien téléphonique avec La Presse où Atom Egoyan a joué au journaliste durant quelques minutes.

Conversation à trois entre Los Angeles (Girard), Toronto (Egoyan) et Montréal.

Atom Egoyan: La dernière fois où nous nous sommes vus, à New York en 2011, tu travaillais à la fois sur le projet Zarkana du Cirque du Soleil au Radio City Music Hall et sur l'opéra Parsifal au Metropolitan Opera. Était-ce un accomplissement? Un rêve devenu réalité?

François Girard: Ce qui était très particulier, c'est que ces deux spectacles, très iconiques, se retrouvaient dans deux théâtres opposés dans le spectre culturel new-yorkais. C'était intéressant comme écart et comme intensité. Cela dit, c'est peut-être à ce moment-là que je me suis rendu compte que j'étais devenu un metteur en scène de théâtre alors que je suis censé faire des films!

Atom Egoyan: Est-ce que tu t'ennuyais de ton travail de réalisateur? Et comment te sentais-tu par rapport à la dimension musicale, qui à l'opéra ou au cirque est entre d'autres mains?

François Girard: Au travail, je ne m'ennuyais pas parce qu'il y a une grande intensité dans un théâtre. C'était nourrissant. Mais lorsque c'est terminé, on se dit que c'est un film qu'on aimerait faire. Mon plus grand traumatisme avec le théâtre, c'est qu'une fois le projet terminé, il disparaît. Il existe dans la mémoire des gens. Alors que les films continuent d'exister. Quant à la musique, tout est plus facile au cinéma. À l'opéra, la gestion musicale est complexe.

Atom Egoyan: Lorsqu'un cinéaste arrive au théâtre ou à l'opéra, il lui est difficile de contrôler l'aspect musical des choses. Ce n'est pas ton rôle. Alors que dans un film comme Boychoir, François signe aussi la production musicale. Il a amalgamé des séquences sonores et visuelles, ce qui donne des plans magnifiques.

François Girard: À l'opéra, on est au service de la création de quelqu'un d'autre. Par ailleurs, Atom, Robert Lepage et moi avons été la première vague de réalisateurs de films invités à travailler à l'opéra, au milieu des années 90. La Canadian Opera Company nous a fait ouvrir trois saisons consécutives. Il y avait dans cette initiative une volonté de rejoindre un public plus jeune en matière culturelle.

Atom Egoyan: C'était un moment très excitant. C'était bien que nous, réalisateurs de cinéma, tissions des liens avec un autre public. Nous l'avons fait à l'opéra, mais aussi en signant des installations dans des musées. Tu étais très inspirant, François, sur ce plan. Tu me donnais le goût de suivre tes pas.

François Girard: C'est toujours bon d'être confronté à d'autres projets. Autrement, on finit par travailler en vase clos. Travailler sur un projet en dehors de son domaine, c'est comme être un visiteur dans un autre monde. Et c'est bien! Cela nous donne une certaine liberté et on peut brasser des façons de faire, des traditions. On nous permet d'arriver avec des perspectives nouvelles et je crois que c'est ce que souhaitent ceux qui nous embauchent.

Atom Egoyan: Tu as une grande sensibilité au temps. Dans tes créations, tu essaies continuellement de ralentir les choses. Le temps est-il une obsession chez toi?

François Girard: Dans ce monde moderne, nous vivons tous des vies de fous. Nous sommes constamment sollicités par courriel, par Skype, etc. Dans ce contexte, faire un spectacle de deux, trois heures devient un moment très précieux. Pour moi, que la salle ait 200 ou 2000 spectateurs, j'essaie de faire en sorte que ce temps qu'on m'accorde en soit un de méditation, de contemplation.

La Presse: M. Girard, comment réagissez-vous à l'attribution d'une Louve d'honneur?

François Girard: C'est bien entendu très sympathique, mais ça me parle d'une loyauté que j'ai envers le FNC et vice versa. Jeune, j'ai travaillé au FNC avec Luc Bourdon (vidéaste et cinéaste). Claude Chamberlan a présenté tous mes vidéos. Plus tard, j'ai siégé au conseil d'administration du Festival. Le FNC, c'est un peu la maison pour moi.

La Presse: Et vous, Atom, que dire de ce prix que vous allez remettre à M. Girard?

Atom Egoyan: C'est très excitant. Je connais peu d'artistes du calibre de François qui ont su tracer le chemin dans le monde des arts. Grâce à lui, nos carrières ont touché des domaines similaires: cinéma, opéra, installations. C'est une belle occasion de lui rendre hommage.