Figure marquante du cinéma d'avant-garde américain depuis 50 ans, le New-Yorkais Jonas Mekas est à Montréal ces jours-ci pour un hommage que lui rendent à la fois le Festival du nouveau cinéma et le Centre Phi.

Le Festival du nouveau cinéma a remis, mercredi dernier, une Louve d'honneur à cet artiste multimédia d'origine lithuanienne de 91 ans qui fait «du nouveau cinéma» depuis qu'il a acheté sa Bolex 16mm, deux semaines après son arrivée à New York, en 1949. Jeune immigrant, il avait fui avec son frère autant le nazisme que le communisme.

Passionné d'images, il s'est mis à filmer le quotidien de Brooklyn et d'ailleurs, créant une sorte de cinéma du journal intime qui a fait sa marque. Débrouillard, attaché à la mémoire, il a fédéré le cinéma indépendant américain avec son « Film-Makers » Cooperative, qui deviendra les Anthology Film Archives. Il voulait éviter que se perdent ces films racontant la vie américaine réelle, celle de la rue et des rencontres d'artistes.

«J'ai eu la chance d'arriver à New York durant une bonne période artistique, alors que les arts classiques étaient à leur sommet et que d'autres générations d'artistes émergeaient», dit-il en entrevue. C'est ainsi que sa caméra a croisé Jackson Pollock, Lou Reed, Andy Warhol, Allen Ginsberg, John Lennon ou Salvador Dalí...

Le FNC a projeté, samedi dernier, ses Walden Diaries, trois heures d'images datant de 1964 à 1968, et proposait hier son As I Was Moving Ahead, Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty, un film expérimental et documentaire de près de cinq heures. Des extraits de vies de personnes qu'il a rencontrées.

L'année cinéma

Avec l'exposition L'éloge de l'ordinaire, jusqu'au 26 octobre, le Centre Phi complète l'hommage montréalais avec trois oeuvres de Jonas Mekas. D'abord, The 365 Day Project, une succession de films courts et de vidéos tournés chaque jour de 2007 et qu'il a placés quotidiennement sur son site internet. «J'étais devenu un instrument; je devais être prêt à tourner tout le temps, car la décision devait se prendre subitement», dit-il.

Le Centre Phi a disposé 12 écrans pour les 12 mois de l'année 2007 afin de diffuser tout ce matériel, soit des dizaines d'heures d'images.

Parallèlement, l'installation comprend The First 40, soit 40 petites vidéos qui sont autant de clins d'oeil à des amis ou à des lieux qui ont été importants dans sa vie.

On peut y voir notamment Dalí discuter de la technique du moiré, ou encore Andy Warhol surpris de recevoir un panier de fruits en 1964 de la part du Film Culture Magazine (journal créé par Jonas Mekas), un prix annuel qu'avait obtenu avant lui John Cassavetes et qu'obtiendra plus tard Michael Snow.

«Andy Warhol a été perçu comme cherchant la célébrité, mais ce n'était pas le cas, dit-il. C'était plutôt l'inverse: ce sont les célébrités qui voulaient être avec lui. Comme avec Tennessee Williams ou Montgomery Clift.»

«Je suis un filmeur»

Le Centre Phi projettera également, le samedi 19 octobre, Sleepless Nights Stories, film réalisé en 2011 et qui présente 25 petites histoires tournées en direct. Une peine d'amour, la chute d'une cavalière, des images glanées ici et là. «Ce film est une réflexion sur la nature de ce qu'est une histoire, dit-il. Il y a des histoires qui sont des témoignages; d'autres, des incidents qui sont survenus, et d'autres sont le compte-rendu d'un moment qui est simplement arrivé.»

Jonas Mekas a horreur qu'on lui dise qu'il est le parrain américain du cinéma underground. Pour lui, cela occulte tous ces artistes de la pellicule qui l'ont précédé. «J'étais dans la continuité de ce qui avait été fait; j'ai appris des cinéastes français et allemands et de la génération de Hollywood», souligne-t-il.

Mekas va même jusqu'à affirmer qu'il n'est pas un cinéaste. «Je ne fais pas de films, je filme», aime-t-il dire, soucieux des nuances et se méfiant des étiquettes. «Je suis un filmeur», ajoute cet homme qui n'a jamais cessé de tourner des images. Quand on lui demande quels sont ses projets à venir, il répond sereinement: «Continuer.»