Robert Lepage, metteur en scène québécois de théâtre et d'opéra reconnu internationalement, qui a déjà porté au grand écran plusieurs de ses pièces, aime avant tout la liberté dans la création.

Ainsi, la pièce fleuve de neuf heures Lipsynch, à laquelle il conviait les spectateurs d'un peu partout dans le monde au début des années 2000, prend cette fois la forme d'un film de 95 minutes.

Si un tournage se déroule souvent sur environ 30 ou 40 jours, Triptyque a été plutôt produit en 82 jours, sur une période de trois ans et demi, une liberté que devrait se permettre le cinéma, selon Robert Lepage.

«Heureusement, je fais tellement d'autres choses dans la vie que je ne peux pas prendre cinq semaines de mon temps et tourner. Ça oblige à laisser pousser les choses, de façon très organique», a exprimé le cinéaste et metteur en scène.

En ouverture du Festival du nouveau cinéma de Montréal, mercredi soir, il propose son Triptyque, dont il évoque en entrevue les thèmes de l'identité - «toujours propre à un film québécois», selon lui - et de la quête spirituelle.

Après son passage au festival, Triptyque prendra l'affiche en salle le 25 octobre.

«Il y a le thème de l'identité qui est toujours propre à un film québécois, un thème qui nous vient naturellement. Les personnages sont aussi dans une quête spirituelle, qui se manifeste par des visions, ou encore par le rejet de la religion. Le personnage de Thomas, étant un esthète, étant un amateur de l'art de la renaissance, est nécessairement confronté à une imagerie religieuse. Mais étant neurologue, il ne peut pas s'empêcher d'avoir une vision rationnelle de ces croyances-là», relate Robert Lepage.

Quand on l'invite à commenter sur le projet de Charte des valeurs québécoises, il dit simplement croire que le débat actuel «s'en tient à des options d'équivalence, ma croix contre ton voile». «Ce n'est pas que le patrimoine. La religion, ici, est liée à cette quête d'identité. Il y a quelque chose de plus profond là-dedans, qui est l'absence de vie spirituelle, ou la présence d'une vie spirituelle, mais le respect de cette quête-là», fait valoir le cinéaste.

Mais il tient à dire que Triptyque n'a pas ce «caractère social par rapport à la religion». C'est avant tout le destin croisé de trois personnages à Montréal, Québec et Londres: ceux de Michelle (Lise Castonguay), libraire schizophrène, Marie (Frédérike Bédard), chanteuse et comédienne qui perdra certaines capacités de la voix et de la mémoire, et Thomas (Hans Piesbergen), neurologue allemand.

Frédérike Bédard croit que les drames de ces personnages sauront émouvoir les spectateurs, du fait que ces troubles et ces maladies ne sont malheureusement jamais bien loin de nous - touchant un proche ou un voisin.

L'actrice, qui est de la production de Sainte-Carmen de la Main, évoque aussi la voix qui est au coeur du projet. Marie, chanteuse aphasique qui voit donc les mots lui échapper, exprimera son angoisse par des cris sur scène à la veille de son opération.

«Dans Marie, j'ai voulu explorer tout le côté de la voix comme réaction primaire, explique Frédérike Bédard, qui a fait partie de la troupe La La La Human Steps et du Choeur de l'Opéra de Québec. Elle devient aphasique, donc il n'y en a plus de parole. Est-ce qu'il y a quelque chose de plus universel qu'un cri? Lorsque Marie apprend qu'elle devra se faire opérer, qu'elle va peut-être même mourir, elle a un spectacle le soir. Par sa performance, je voulais transmettre l'espèce de magma d'angoisse en elle. Dans la souffrance, ce n'est pas nécessairement les mots qui viennent d'abord.»

Frédérike Bédard, comme les deux autres acteurs principaux, figurait parmi les 11 auteurs mis à contribution dans la pièce.

Robert Lepage, qui dit «demeurer surtout un homme de théâtre» - malgré ses prix remportés pour La Face cachée de la lune ou Le Confessionnal -, a tenu à s'allier à un coréalisateur en la personne de Pedro Pires, pour apporter une vision «plus cinématographique».

Pedro Pires avait oeuvré aux effets spéciaux avec Robert Lepage sur Possible Words, travaillé avec François Girard sur The Sound of the Carceri et Le Violon rouge, en plus de signer les courts métrages primés Danse macabre et HOPE.

En fait, Robert Lepage et Pedro Pires avaient coréalisé trois courts métrages, Marie, Michelle et Thomas, du nom de ces trois personnages, qui forment aujourd'hui le coeur de Triptyque.

«Notre intention au départ n'était pas du tout de faire une adapation de Lipsynch, mentionne Robert Lepage. On prenait un des personnages, celui de Michelle, la libraire schizophrène, qui avait un univers qui méritait selon moi un court métrage mais aussi le traitement cinématographique, la vision de Pedro Pires. Pedro s'intéressait aux choses plus étranges, plus sombres, plus marécageuses, trouvait la beauté dans la décadence. Ce qui est arrivé en faisant ce court, est qu'on a vu le potentiel d'en faire deux autres courts, avec Thomas et la soeur de Michelle, Marie. Il n'y a pas tout Lipsynch, il n'y a qu'un tiers de Lipsynch dans le film.»

«J'aime beaucoup travailler en étapes comme Robert Lepage, ajoute Pedro Pires, à ses côtés. C'est vraiment comme une peinture. On tourne un bout, on le monte, et de là nous viennent de nouvelles idées. On additionne les couches en vue du tableau final.»