Aux abords de l'Impérial, les conversations sont davantage meublées par les écueils auxquels se heurte le festival que par les films qu'il présente. Mais une fois les lumières éteintes, il reste encore, parfois, de beaux films. Et des spectateurs pour les voir.

Il est de ces films qui s'imposent d'emblée grâce aux qualités artistiques qui en émanent. Ainsi en est-il de La pelle dell'orso, en lice pour le Grand Prix des Amériques. Le premier long métrage de fiction de Marco Segato, un réalisateur ayant principalement travaillé dans le domaine du cinéma documentaire jusqu'à maintenant, révèle en effet une vision très précise, très maîtrisée. D'une grande beauté picturale, La peau de l'ours est une adaptation du roman éponyme de Matteo Righetto. L'esprit de ce récit initiatique italien n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui du Temps d'une chasse de Francis Mankiewicz.

Un village dans les Dolomites. Un ours rôde et fait des ravages. Une récompense de 600 000 lires est offerte à qui viendra à bout de la bête. Un père solitaire compte se mettre à la tâche. Son fils adolescent, avec qui les échanges sont pratiquement réduits à néant, manifeste l'intention d'accompagner le paternel. Forcément, ce rapprochement inattendu donnera l'occasion au jeune homme d'en apprendre un peu plus sur une histoire familiale qu'il connaît très peu. Avec, en prime, une scène qui, inévitablement, rappelle même The Revenant à notre souvenir !

LE CODE CARAVAGE

Le quatrième film de la compétition mondiale est Titanium White, premier long métrage de Piotr Smigasiewicz. Belle idée que de plonger dans le monde de l'art et des tractations parfois douteuses, voire criminelles, qui le caractérisent. D'autant qu'ici, un doctorant polonais, fou de l'oeuvre du Caravage, se rend à Porto Ercole afin de faire des recherches sur les dernières années du grand artiste. Hélas, l'intrigue emprunte vite les allures d'un thriller aux péripéties abracadabrantes, où le traître de l'histoire peut pratiquement être identifié dès le départ. Ce film n'est pas mal exécuté, cela dit. Et il nous donne aussi l'occasion, le temps d'une participation, de voir le grand Daniel Olbrychski. Et puis, il y a l'Italie. Et les Italiens. Alors, de quoi se plaint-on ?

QUE LE SPECTACLE CONTINUE...

Samedi après-midi, un petit détour du côté des bureaux du FFM, adjacents au cinéma Impérial. Le festival n'ayant plus de quartier général (l'entente habituelle avec l'hôtel Hyatt Regency n'a pas été reconduite), les professionnels et journalistes se rabattent ainsi sur ce qui sert habituellement de bureau administratif.

La majorité des employés ayant rendu leur tablier lundi dernier, ils ne sont maintenant plus que trois à s'y démener. Leur fonction ? Tout faire.

Ils s'occupent des accréditations, tentent d'orienter les gens de leur mieux et essaient aussi d'éteindre la multitude d'incendies de toutes natures. Les conditions de travail sont difficiles, mais le moral, semble-t-il, tient bon.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Une femme consulte l'horaire affiché dans les fenêtres du cinéma l'Impérial.

Des notes manuscrites sont parfois affichées. On essaie de lancer un regroupement de jeunes cinéastes sélectionnés au Festival du film étudiant, dont la tenue est annulée, sur les réseaux sociaux. On tenterait, de façon autonome, de trouver un endroit pour présenter ces films. D'autant que quelques-uns de ces cinéastes étrangers, qui n'ont pas été prévenus à temps de l'annulation de l'événement, s'indignent du traitement qu'on leur réserve.

On apprend par ailleurs que la direction du festival serait toujours à la recherche d'une salle supplémentaire, histoire de pouvoir montrer au public d'autres films que ceux retenus dans la programmation du cinéma Impérial, unique lieu de projections. Y a-t-il vraiment espoir de ce côté ? On ne saurait dire.

UN COORDONNATEUR DÉPASSÉ

Élie Castiel, coordonnateur en chef de la programmation jusqu'à mercredi dernier, indique, en outre, qu'il n'était plus possible pour lui de manoeuvrer dans un cadre aussi chaotique.

« J'ai toujours eu de bonnes relations avec M. Losique et mon départ n'a rien à voir avec celui des employés démissionnaires, tient-il à préciser au cours d'un entretien accordé à La Presse. Je suis parti parce que j'ai été dépassé par les événements. La gestion de la grille horaire était devenue très difficile - un jour avec le Cineplex Forum, un jour sans, un jour avec, un jour sans -, et il n'était plus possible de faire ce travail de façon rigoureuse. »

Pour lui, la goutte de trop a été versée quand Cineplex Divertissement a officiellement retiré ses salles du Cineplex Forum. À son avis, le festival aurait dû annuler toutes ses activités dès cette annonce et prendre une année sabbatique, histoire de se recentrer et d'avoir le temps d'adopter une nouvelle stratégie.

« Cela n'aurait pas été la fin du monde, explique-t-il. C'est arrivé à plein d'autres grands festivals aussi. Là, je me sentais trop mal, surtout face à des réalisateurs avec qui j'ai eu des contacts professionnels formidables, mais dont les films ne sont plus présentés. J'ai préféré partir. Cela dit, ma décision n'était pas du tout dirigée contre Serge Losique. J'ai adoré travailler au sein de cette équipe. Ce fut une expérience extraordinaire pour moi. Mais tout ce travail fait pour l'édition de cette année a été saboté par des situations extérieures, hors de mon contrôle. »

DEUX MEMBRES DU JURY ENCORE ATTENDUS

Par ailleurs, Serge Losique a tenu à faire une petite mise au point à propos du jury de la compétition mondiale. Il est vrai que, pour l'instant, on ne compte à Montréal que trois membres du jury plutôt que six : Goran Marković, Eliseo Subiela et Claude Gagnon. Le grand manitou du FFM espère encore toutefois la visite du cinéaste Sergueï Bodrov et du producteur Donald Ranvaud. « Ils ont même pu voir quelques films déjà », affirme-t-il. De son côté, le cinéaste néo-zélandais Lee Tamahori (Once Were Warriors, Grand Prix des Amériques en 1994) a annulé sa visite à Montréal. Serge Losique songe à nommer quelqu'un d'autre pour le remplacer.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

En après-midi samedi, le réalisateur américain David Franklin invitait personnellement les festivaliers à la première mondiale de son film As Far as the Eye Can See qui avait lieu en soirée.