Écartant toute notion de «propagande» d'un revers de main, le cinéaste iranien Majid Majidi s'est appuyé sur un message de «paix et d'amour» pour justifier un film ambitieux racontant l'enfance et l'adolescence du prophète Mahomet.

Les journalistes présents à la conférence de presse donnée par l'équipe du film iranien Muhammad n'ont eu guère droit à des réponses précises à leurs questions. Avant de se lancer dans de longues diatribes un peu vagues, le cinéaste Majid Majidi a même tenu à remercier d'abord Dieu pour l'honneur qui lui est fait, soit celui de présenter son nouveau film en primeur mondiale à Montréal.

«Nous avions donné notre parole au FFM. Il en aurait la primeur mondiale. Voilà pourquoi la sortie du film a été retardée d'une journée en Iran», dit-il.

Souvent célébré au FFM, Majid Majidi a obtenu le Grand Prix des Amériques à trois reprises: Les enfants du ciel, en 1997 (aussi en lice pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, l'année suivante), La couleur du paradis, en 1999, et Baran, en 2001.

Après plusieurs années d'absence, le cinéaste revient dans la métropole québécoise avec, cette fois, la production la plus ambitieuse - et la plus chère - jamais fabriquée en Iran. Quarante millions de dollars pour un film religieux qui serait au monde musulman un peu ce qu'est le film biblique dans le monde chrétien.

«Nous avons utilisé la moitié de cette somme pour réaliser le film et construire une cité du cinéma qui nous servira au cours des 30 prochaines années, a précisé le cinéaste. Nous gardons l'autre moitié en réserve pour les prochains films.»

Quand on lui demande comment est née l'idée de Muhammad - est-ce une initiative personnelle ou une commande venue des autorités? - , le cinéaste préfère évoquer les sept années consacrées au projet.

«L'islam est une religion de paix, d'amour et d'amitié, a-t-il répété plusieurs fois en expliquant avoir essayé de montrer le vrai visage de sa religion. Cela n'a strictement rien à voir avec l'image violente qui en est faite à cause de radicaux qui l'ont détournée de son sens.»

Peu de films sur le prophète

Majid Majidi estime qu'un important déficit cinématographique existe à cet égard.

«Il y a environ 200 films qui ont été faits à propos de la vie de Jésus; une centaine d'autres sur l'un ou l'autre de ses disciples; 42 à propos de Bouddha, a-t-il déclaré. On ne comptait qu'un seul film sur Mahomet avant le mien. Et ce film de Moustapha Akkad - The Message - a été fait il y a 40 ans!»

Aussi en appelle-t-il aux producteurs et cinéastes «du monde entier». «J'aimerais voir plus de films sur Mahomet, dit-il. Plus il y en aura, mieux ce sera!»

Le cinéaste invite même, du coup, les artisans d'une production «rivale», lancée au Qatar, à venir tourner en Iran. «Tout le monde est le bienvenu!» S'il reconnaît que son film - dans lequel on voit physiquement le Prophète, mais jamais son visage - risque de faire polémique en Arabie saoudite et en Égypte (où toute représentation de Mahomet est complètement proscrite), il estime que la vaste majorité des 1,7 milliard de musulmans n'y verront aucun problème.

«Ce fut quand même l'aspect le plus compliqué du film, concède-t-il. On doit s'appuyer sur des poèmes et des récits, car il n'existe aucune illustration historique. Cela dit, nous avons voulu faire écho dans ce film aux deux grandes écoles de pensée de l'islam, celle des chiites et celle des sunnites. Nous avons sollicité l'expertise de grands historiens, spécialisés dans les deux mouvements. Je ne vois pas du tout de propagande dans cette démarche. Plutôt une introduction naturelle, comme on ferait pour n'importe quelle autre culture ou religion.»

Comme un vieux film biblique

Muhammad présente-t-il un intérêt pour un public occidental? Pas vraiment. L'ensemble déploie son académisme sur trois longues heures. En vérité, l'approche ressemble à celle qu'empruntaient les cinéastes à l'époque de la vague des films bibliques, révolue il y a 50 ans. Bien sûr, Muhammad affiche son opulence sur le plan technique (des dizaines de figurants s'engagent dans des batailles épiques sous la caméra du grand directeur photo Vittorio Storaro), mais il faudra quand même posséder quelques rudiments historiques de la religion musulmane pour décoder tout cela. Le récit ne quitte guère le ras du premier degré et s'appuie essentiellement sur des dialogues explicatifs. Le symbolisme est lourd - l'enfant prophète est quasiment toujours nimbé d'une lumière céleste - et l'interprétation se révèle bien peu subtile.

L'art religieux a eu chez nous ses heures de gloire, c'est entendu, mais on voit mal comment notre intérêt pourrait ressusciter grâce à Muhammad.

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Muhammad est présenté aujourd'hui à 14h30 au Quartier latin.