L'incident qu'évoque le cinéaste allemand Volker Schlöndorff dans La mer à l'aube est lié à une époque de laquelle peuvent difficilement se libérer les gens de sa génération.

Volker Schlöndorff, celui que Serge Losique a désigné «chef de file du nouveau cinéma allemand» dans sa présentation, est né l'année où a été déclenchée la Deuxième Guerre mondiale. Avec La mer à l'aube, un film tourné pour la télévision (présenté il y a quelques mois sur la chaîne franco-allemande Arte), le réalisateur du Tambour a l'impression de refermer un vague souvenir d'enfance.

«À l'adolescence, je suis venu faire un stage de deux mois dans un collège en France, a expliqué le cinéaste au cours d'une leçon de cinéma très courue, offerte hier dans le cadre du Festival des films du monde. Je suis resté au pays 10 ans! Au collège, nous évoquions souvent la guerre, encore très fraîche dans les mémoires, puisqu'elle avait pris fin 10 ou 11 ans auparavant à peine. J'ai alors entendu parler de l'histoire d'un officier allemand assassiné par des militants des jeunesses communistes en 1941, à Nantes. Les Allemands avaient répliqué à cet attentat de façon féroce. J'ai dû refouler ce souvenir très loin dans ma mémoire, car il a resurgi il y a seulement deux ans. Je suis en effet tombé sur un livre racontant le parcours de Guy Môquet. C'est là que je me suis rendu compte qu'il s'agissait de la même histoire. Voilà pourquoi j'ai l'impression de boucler la boucle.»

Âgé de 17 ans à peine, Guy Môquet a été fusillé avec 26 autres camarades au camp de Châteaubriant, situé à environ 40 kilomètres du collège que fréquentait le cinéaste. La mer à l'aube, présenté hier sur grand écran avec une bien piètre qualité technique (images Betacam fades et délavées, sans aucune profondeur), questionne la notion d'obéissance collective en mettant aussi en exergue le désarroi de ceux qui ne peuvent faire autrement que d'exécuter les ordres.

Le scénario, écrit par Schlöndorff et Pierre-Louis Basse (auteur du livre Guy Môquet - Une enfance fusillée), est fondé sur des documents d'époque, mais il est aussi inspiré par le journal d'Ernst Jünger (l'officier chargé de noter le cours des événements), de même que par des écrits du grand auteur Heinrich Böll. Hélas, la forme se révèle bien académique. N'évitant pas le didactisme, le récit peine à respirer tellement les dialogues se font pressants. On sent aussi le vénéré cinéaste un peu restreint dans ses élans de mise en scène.

Le poids de la culpabilité

La déception est d'autant plus grande qu'une bonne partie de la démarche artistique de Schlöndorff découle directement de ces années sombres de l'histoire de l'humanité. Dès son premier film, Les désarrois de l'élève Törless (1966), jusqu'à ce nouvel opus, en passant par Le tambour, Le neuvième jour, et quelques autres, la Deuxième Guerre mondiale reste au coeur des thèmes qu'il aime explorer.

«Je ne ferais probablement pas de cinéma si ce n'était de ça, affirme celui qu'on surnomme le plus francophile des cinéastes allemands. Étant né avec la guerre, ce que j'ai vu en France et en Allemagne m'a forcément marqué. Des familles brisées, des villes détruites. Quelque chose a changé dans la façon même dont les hommes se sont fait la guerre. Il y avait là, pour une première fois dans l'histoire contemporaine, une volonté d'extermination. On a tout détruit de façon industrielle. Ceux qui sont nés à cette époque peuvent difficilement s'en libérer. Le poids de la culpabilité dont ont hérité les Allemands de ma génération est tangible. Ma fille, qui a 20 ans, n'y comprend rien. Elle est fière d'être Allemande et ne s'identifie pas du tout au passé. Et c'est bien tant mieux!»

Aussi réputé pour ses adaptations cinématographiques d'oeuvres littéraires, Volker Schlöndorff n'en tire pourtant pas grand mérite.

«À 25 ans, j'étais pressé et je n'avais encore rien vécu. C'est pourquoi je me suis rabattu sur un livre pour Les désarrois de l'élève Törless. Je me suis aperçu très rapidement que mes adaptations étaient bien meilleures que mes scénarios originaux. Je me suis dit qu'il valait mieux me restreindre à ce que je sais faire plutôt que de rater ce que je veux faire!»

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La mer à l'aube est présenté aujourd'hui à 21h30 et demain à 14h20 au Quartier Latin 9.