Dans Dictature affective, la documentariste Karina Marceau plonge dans un abîme d'âmes tourmentées. Cette forme de harcèlement survient après une séparation lorsqu'un des parents convainc ses enfants que l'autre est méchant. Nous en discutons avec l'auteure, dont le film est présenté en première mondiale au Festival des films du monde.

Q : Qu'est-ce qui vous a conduit à ce sujet?

R : J'ai appris en l'espace de quelques semaines que deux personnes de mon entourage élargi en ont été victimes. Puis, alors que je terminais une entrevue avec une juge de la Chambre de la jeunesse, je lui demandais quel sujet ferait l'objet d'un bon documentaire. Elle m'a parlé de la dictature affective, ce dont je n'avais jamais entendu parler. Je trouvais le sujet à la fois triste et intéressant. C'est quelque chose qui m'interpellait beaucoup. C'est aussi très délicat, car on doit identifier de réels cas de dictature affective. Il faut qu'un enfant ait totalement rejeté un de ses parents pour évoquer un tel cas.

Q : Avez-vous eu beaucoup de difficulté à convaincre des gens de parler?

R : Oui, il a fallu que je fasse de nombreuses démarches. D'autant plus que je voulais des gens qui parlent ouvertement à la caméra. Je ne voulais pas de visages brouillés. Ça me paraissait un peu facile. Et pour le spectateur, il est plus attachant de voir des personnes à visage découvert. Dans le cas des deux filles de Luc (NDLR: un des interviewés du film dont les filles ont subi la dictature affective de leur mère), il m'a fallu un an de démarches pour gagner leur confiance.

Q : Un des experts du film affirme que, dans la majorité des cas, la personne aliénante n'a pas le sentiment de mal agir...

R : En effet, les personnes aliénantes sont convaincues dans leur for intérieur que l'autre est mauvais. Ce parent a une vision totalement négative de l'autre. Sa réaction est de vouloir protéger ses enfants de l'ex-conjoint qu'il croit être mauvais.

Q : Vous coréalisez le film avec la cinéaste Louise Archambault qui signe une partie fictive (avec les comédiens Marie Turgeon, Robert Naylor et Réal Bossé). Pourquoi avoir intégré ce segment?

R : Comme dit le dicton: on ne veut pas le savoir, on veut le voir! Je voulais rendre mon propos vivant. Je voulais qu'on entre dans l'univers d'une famille où règne une dictature affective. C'était important de le faire afin que le spectateur soit plus sensibilisé.

Q : Existe-t-il un lien entre tous les personnages?

R : La souffrance. Tout le monde souffre dans cette situation. La personne qui aliène, la personne aliénée et les enfants. C'est pour cela que je devais éviter le piège du film manichéen. Il fallait trouver le bon ton, sans faire un show de boucane. Il y avait un gros travail à faire sur cet aspect.

Q : Quelle place occupe ce film dans votre travail de documentariste?

R : C'est un pas supplémentaire dans ma carrière. Je suis heureuse d'avoir incorporé des éléments de fiction, car je suis attirée par ce genre. J'ai l'impression que ce documentaire est mon projet le plus achevé, où j'ai fait appel à toutes mes cordes (journaliste, recherchiste, etc.) pour le réaliser.

* * * * *

Le prochain projet de documentaire de Karina Marceau s'intitule Les survivantes. Il porte sur un groupe d'une dizaine de femmes dont les enfants ont été assassinés par leur ex-conjoint. Ces femmes ont volontairement décidé de se réunir dans un chalet en présence de la cinéaste. «Elles vont parler de ce qu'elles ont vécu, mais aussi de l'après. Elles sont à des étapes différentes de deuil. Je sens chez elles un besoin de témoigner.»

___________________________________________________________________________

Dictature affective, de Karina Marceau, est présenté au FFM les 26 août à 19h, 28 août à 14h40 et 29 août à 17h10 au Quartier latin, puis le 3 décembre à 21h sur Télé-Québec et sur TFO au printemps 2013.