D'un côté, il y a les enfants soldats du puissant film Beasts of No Nation. De l'autre, ces enfants que l'Occident tente de «sauver» à son profit dans Les chevaliers blancs. Et partout, la même impression de gâchis.

Il est difficile d'éviter les comparaisons. Il y a trois ans, Kim Nguyen était parvenu à évoquer le drame des enfants soldats avec une grande force poétique. L'approche qu'emprunte Cary Joji Fukunaga pour Beasts of No Nation est plus frontale. Même si un peu plus de finesse n'aurait sans doute pas nui, cette plongée dans l'horreur reste quand même très puissante sur le plan dramatique.

Ce film trop long (plus de deux heures) se démarque aussi nettement des productions hollywoodiennes habituelles grâce à sa «neutralité». C'est-à-dire que ceux qui souhaitent une histoire édifiante avec un épilogue heureux, une rédemption et une belle leçon de vie à la fin grinceront des dents. Parce que la réalité est tout autre.

Aussi le cinéaste, révélé grâce à Sin Nombre (il a également signé les épisodes de la première saison de la série True Detective), prend-il bien soin d'entraîner d'abord le spectateur dans la vie quotidienne des villageois.

Ces enfants qu'on recrute...

Dans un pays jamais nommé, ravagé par la guerre civile, le petit Agu (Abraham Attah) mène encore une existence souriante et espiègle auprès de sa famille. Tout bascule le jour où le village est envahi par les rebelles. Et mis à feu et à sang. Mère et petite soeur ont été évacuées; père et grand frère sont exécutés.

Laissé à lui-même, Agu est alors recruté par celui qu'on appelle «Commandant» (Idris Elba). L'emprise psychologique de l'homme sur le garçon, comme une figure paternelle abusive, aura tôt fait le travail. Endoctriné, l'enfant devient soldat en suivant de force tous les rites initiatiques ayant pour but de le déshumaniser. Très vite, ordre lui sera donné de tuer quelqu'un à la machette.

Fukunaga, reconnu notamment pour son grand sens de l'image, mettra souvent en contraste la beauté du décor et l'horreur du sang versé sur le sol. Idris Elba, seul acteur connu dans ce film où l'anglais côtoie la langue locale, en impose. Il sait séduire et terrifier à la fois.

Fait à noter, Beasts of No Nation est la première grande production cinématographique de Netflix, une société spécialisée dans la diffusion en flux continu sur l'internet. Netflix compte d'ailleurs bien devenir l'un des acteurs importants dans le domaine. Et tente de trouver aussi le moyen de diffuser ses films simultanément dans les salles, malgré les objections des principales chaînes d'exploitation.

Il est évident que l'arrivée de ce nouvel intervenant risque de bousculer les choses dans le monde de la distribution. Surtout s'il se mêle d'offrir des films d'aussi belle qualité. Beasts of No Nation sera offert sur Netflix à compter du 19 octobre. Des circuits indépendants le mettront aussi à l'affiche dans leurs salles aux États-Unis. Aura-t-on droit à une sortie sur grand écran au Québec? À suivre...

Ces enfants qu'on «sauve»...

Le cinéaste belge Joachim Lafosse a établi sa réputation enviable grâce à des films comme Nue propriété, Élève libre, À perdre la raison. Dans chacune de ses oeuvres se trouve la notion d'ambiguïté, souvent même à la frange du malaise. Sa présence à la tête d'une production plus «classique» comme Les chevaliers blancs peut d'abord surprendre, même si, au bout du compte, elle s'inscrit de façon tout à fait logique dans sa démarche.

Son nouveau film, présenté en primeur mondiale au TIFF, relate l'affaire de L'Arche de Zoé. En 2007, quelques délégués de cette organisation humanitaire ont été arrêtés au Tchad alors qu'ils s'apprêtaient à embarquer 103 enfants orphelins dans un avion pour les emmener en France.

Le récit, dans lequel on utilise le nom fictif de Move for Kids pour désigner l'organisation, décrit la mission du début à la fin. De l'arrivée en Afrique jusqu'à l'arrestation, en passant par les négociations avec les chefs de village, les transactions douteuses pour obtenir des enfants orphelins de moins de 5 ans et les faux prétextes. Ces orphelins étaient en effet promis à des familles françaises alors que l'organisation laissait plutôt croire aux habitants des villages environnants que le dispensaire avait été installé pour les soigner.

Une approche habile

L'approche de Lafosse est des plus habiles. Il force le spectateur à confronter sa propre morale envers cette notion de «néocolonialisme compassionnel», une expression utilisée à l'époque par l'homme politique Noël Mamère pour dénoncer l'affaire.

Ainsi, la sincérité des intervenants, qui veulent offrir une meilleure vie à ces enfants en danger (mais le sont-ils vraiment?), est constamment mise en contraste avec l'immoralité d'une opération dans laquelle sont impliqués des gamins dont on ne sait souvent rien de l'histoire. Lafosse misera sur cette ambiguïté jusqu'à la fin, d'autant qu'au sein même de l'organisation, les discussions sont très vives.

Vincent Lindon impose magnifiquement sa force tranquille en chef de mission. L'acteur, lauréat du prix d'interprétation du Festival de Cannes cette année (grâce à La loi du marché de Stéphane Brizé), est aussi bien appuyé par Louise Bourgoin, Reda Kateb, Valérie Donzelli, sans oublier Rougalta Bintou Saleh, excellente dans le rôle de la traductrice.

Le film Les chevaliers blancs a été sélectionné dans Platform, une nouvelle section compétitive regroupant 12 longs métrages, pour la plupart réalisés par des cinéastes émergents.