Corbo évoque le Québec des années 60, celui duquel ont émergé des mouvements indépendantistes radicaux dans une société encore largement dominée par le pouvoir anglophone. À Toronto, on a prêté une oreille très attentive.

Au lendemain de la toute première présentation publique de son film Corbo, Mathieu Denis s'étonnait presque de l'accueil très respectueux du public torontois. « J'étais très nerveux ! a-t-il confié en entrevue. Aussi surprenant que ça puisse paraître, il y a une vraie rumeur qui plane sur le film ici. Depuis mon arrivée, j'enchaîne les entrevues avec les médias du Canada anglais. Je devais repartir d'ici [demain]. Je reste finalement jusqu'à mercredi tant les demandes d'entrevues sont nombreuses ! Comme Piers Handling pousse beaucoup le film, il y a assurément un effet d'entraînement. »

Le directeur du TIFF ne rate en effet jamais l'occasion de citer Corbo dès qu'il a l'occasion de partager ses suggestions. Le film suscite ainsi une vraie curiosité. Dans le ROC, le souvenir du Front de libération du Québec fait aussi toujours figure de traumatisme dans l'imaginaire collectif. Après la projection, la séance « questions et réponses » avec Mathieu Denis a pris fin sur une vraie interrogation venue d'un spectateur. Ce dernier voulait savoir si le cinéaste estimait que le FLQ avait joué un rôle positif dans l'évolution de la société québécoise. Sous-entendu : non, impossible.

« Pour eux, le FLQ était le mal incarné, fait remarquer le cinéaste. René Lévesque disait que le terrorisme est le symptôme d'une maladie, mais pas la maladie en soi. À cette époque, les actions violentes de ces jeunes militants étaient symptomatiques d'un profond désespoir. L'horizon était complètement bouché pour les Québécois. Quand tu es désespéré, tu peux être amené à poser des gestes plus radicaux. La mort de Pierre Laporte a été un tournant majeur. Les gens se sont alors demandé s'ils voulaient vraiment emprunter cette direction. Ils se sont posé des questions avant que ça n'aille trop loin. Collectivement, ils ont pris une décision courageuse, mature, et ils se sont efforcés de trouver des moyens différents pour agir. »

HISTORIQUEMENT FACTUEL

Corbo relate le parcours de Jean Corbo (Anthony Therrien), un adolescent d'une bonne famille bourgeoise de Mont-Royal, né d'une mère québécoise (Marie Brassard) et d'un père italien (Tony Nardi). En 1966, il sympathise avec des militants du FLQ. Le jeune homme est mort, à l'âge de 16 ans, en allant poser une bombe à la Dominion Textile. Même si le récit prend des libertés sur le plan dramatique, il évoque des faits rigoureusement exacts sur le plan historique. Denis a d'ailleurs fait une recherche exhaustive à cet égard, même si les documents d'archives sont pratiquement inexistants.

L'une des grandes qualités de Corbo, qui en a plusieurs, est de garder un regard neutre. À ce chapitre, ce film est moins franchement militant que ne l'était Laurentie, un long métrage que Denis a coréalisé avec Simon Lavoie.

« Je ne voulais pas aborder ce sujet de manière frivole, explique-t-il. Ce serait irresponsable. Mais je ne pouvais pas m'empêcher non plus d'éprouver de la sympathie pour ces personnages. Laurentie, c'était le constat de ma génération, désengagée et cynique. À l'époque de Corbo, le contexte était complètement différent au Québec. Les jeunes avaient alors la conviction de pouvoir changer le monde dans lequel ils vivaient. On doit débattre des justifications morales par rapport à l'utilisation de la violence, bien sûr, mais ce serait bien de retrouver cette énergie-là. Présentement, rien ne montre que ça va revenir. Mais je ne suis pas désespéré pour autant ! »

Interprété par une distribution d'ensemble formidable (mentions à Anthony Therrien et Tony Nardi), le film a aussi le mérite de lever le voile sur un épisode méconnu de notre histoire. En tentant de comprendre comment des jeunes à peine sortis de l'enfance ont pu être entraînés à l'action militante violente, Corbo réussit là où La maison du pêcheur avait lamentablement échoué l'an dernier.

Corbo prendra l'affiche l'hiver prochain au Québec.

UN NETWORK CONTEMPORAIN...

Le vétéran scénariste Dan Gilroy (The Bourne Legacy) s'amène au TIFF avec un premier long métrage à titre de réalisateur. Son coup d'essai est franchement réussi. Nightcrawler fait écho à la culture des journaux télévisés à sensation. Des artisans mercenaires sont poussés à pratiquement mettre en scène eux-mêmes des crimes violents pour ensuite pouvoir les vendre à des chaînes de télé. Lou Bloom (Jake Gyllenhaal), un quidam qui se laisse prendre au jeu, devient vite un as en la matière. Son travail impressionne une productrice (la trop rare Rene Russo) qui, telle la Faye Dunaway du temps de Network, carbure aux sensations fortes. Cette dernière ne laisse d'ailleurs jamais les faits se mettre en travers d'une bonne histoire. Gilroy met admirablement en scène sa mise en abyme et il saisit particulièrement bien l'état d'esprit d'individus pour qui l'impact d'une image primera toujours l'éthique professionnelle.

Dans le rôle de ce vidéaste un peu fêlé que plus rien n'arrête, Jake Gyllenhaal propose l'une de ses meilleures compositions.

Nightcrawler prendra l'affiche au Québec le 31 octobre.