Plus que n'importe quel autre grand festival de cinéma, le TIFF commence à s'éteindre doucement dès la folie du premier week-end passée. La nature non compétitive de l'événement y est sans doute pour quelque chose. Plusieurs professionnels et journalistes ont déjà gagné d'autres cieux. De sorte que les projections qui leur sont spécifiquement destinées se déroulent maintenant dans un climat beaucoup plus calme.

La plupart des projections affichant complet au cours des premiers jours, on pouvait hier s'étonner. L'excellent nouveau film de Bertrand Tavernier, Quai d'Orsay, fut en effet projeté devant une salle à moitié vide. Heureusement, la savoureuse satire politique avait déjà fait le plein de spectateurs au cours des deux séances publiques de la veille. À Toronto, précisons-le, le public voit les films avant les journalistes et les professionnels.

À point nommé

Au cours d'un entretien accordé à La Presse, le vétéran cinéaste ne cachait pas son enthousiasme. D'autant que les premiers échos critiques annoncent un accueil très favorable.

Il est vrai que Quai d'Orsay arrive à point nommé, alors que le monde s'interroge à propos de la possibilité d'une intervention en Syrie.

«Lors d'un dîner chez moi, quelqu'un m'a apporté cette bande dessinée de Christophe Blain et Abel Lanzac, intitulée Quai d'Orsay. Je l'ai dévorée. Moi qui avais depuis très longtemps l'envie de faire un film politique, j'ai trouvé dans cet ouvrage une matière formidable. J'ai eu un plaisir fou à écrire le scénario de ce film avec les deux auteurs. Je crois que nous avons écrit une première version en huit jours. En riant comme des fous. »

Campé en 2002 et 2003, Quai d'Orsay nous fait visiter les coulisses du ministère des Affaires étrangères français à travers le regard d'un jeune conseiller embauché pour rédiger les discours du ministre. C'est dire que le personnage qu'interprète Thierry Lhermitte, remarquable, est directement inspiré de Dominique de Villepin. L'ancien ministre sous le gouvernement Chirac a connu son heure de gloire grâce au discours prononcé aux Nations unies le 14 février 2003. L'habile orateur avait brillé en expliquant le refus de la France de participer à la guerre en Irak.

Si le film emprunte le ton de la farce, le récit converge néanmoins vers ce discours-fleuve qui a marqué les esprits.

«Ce fut probablement le plus beau discours prononcé par un homme politique français en 30 ans, fait remarquer Bertrand Tavernier. Nous aurions bien besoin d'une parole aussi visionnaire présentement ! " Dix ans plus tard, le monde, en effet, s'interroge. Le conflit syrien est de nature très différente, mais les gouvernements se posent pourtant les mêmes questions qu'à l'époque.

En deçà de la réalité

Autour du personnage «moliéresque» qu'est le ministre, rebaptisé Alexandre Taillard de Vorms, gravitent ainsi quantité de personnages de l'ombre. Outre le jeune conseiller (Raphaël Personnaz,), le chef de cabinet Maupas (Niels Arestrup) joue aussi un rôle de premier plan. Tous évoluent dans le sillage d'un homme dont chaque passage a l'effet d'un véritable ouragan. Exigeant, enrobant son discours de formules creuses, Taillard peut faire recommencer le travail 50 fois à ses exécutants en donnant toujours des indications contradictoires.

Le réalisateur de La princesse de Montpensier utilise ici les rouages d'une franche comédie pour mieux mettre en lumière le caractère parfois absurde du jeu politique. Il a aussi voulu poser son regard sur des personnages anonymes mais essentiels au fonctionnement d'un ministère. Cela dit, Quai d'Orsay n'est pas une charge en règle non plus. Le cinéaste sait évoquer aussi le courage dont les politiciens font preuve parfois. Et leur sens des responsabilités quand l'heure s'annonce grave.

«On pourrait croire que j'ai grossi le trait, et pourtant des gens bien placés, qui ont travaillé dans ce même contexte, me disent que le film est en deçà de la réalité !, précise Bertrand Tavernier. Il y a même quelqu'un qui a déjà travaillé auprès d'un premier ministre canadien - que je ne nommerai pas ! - qui est venu me trouver pour me dire à quel point le portrait est juste !»

Quai d'Orsay a été présenté en primeur mondiale au Festival de Toronto. Il prend l'affiche en France seulement au mois de novembre. Aucun distributeur québécois n'en a encore acquis les droits.

«Grâce à l'accueil que nous avons eu ici, je crois que cela ne saurait tarder», conclut le cinéaste.