Après la pluie de météorites qui s'est abattue sur elle, la Ville reine reprend tranquillement ses esprits. Les superstars, qui ont joué du coude sur les tapis rouges au cours des dernières heures, survolent déjà d'autres cieux. Plusieurs professionnels et journalistes ont aussi plié bagage. Plus que n'importe quel autre événement du genre, le Festival de Toronto se transforme après le feu d'artifice des premiers jours. L'orgie médiatique, le strass, les paillettes, font maintenant place à la cinéphilie.

Pour Bernard Émond, un habitué de ce festival, il valait beaucoup mieux laisser passer toute la folie glamour du week-end avant de présenter en primeur son nouvel opus, Tout ce que tu possèdes. Lundi soir, dans l'une des salles du superbe complexe Bell Lightbox, l'auteur cinéaste a retrouvé un public fidèle.

«Le TIFF, c'est trop gros, a-t-il dit hier en entrevue. C'en est même effrayant. Ça témoigne de la folie de la culture audiovisuelle contemporaine. Mais à Toronto, il y a aussi des films. De très bons. Qui sont vus par un public qui aime le cinéma. J'ai eu la chance de pouvoir montrer tous mes longs métrages ici. C'est quand même formidable de penser qu'il y a des Torontois qui connaissent mon travail, qui ont vu mes films précédents, et qui se présentent pour découvrir le nouveau. Et puis, j'entretiens de très bons rapports avec le sélectionneur Steve Gravestock.»

Ce dernier, qui a effectué la présentation du film lundi, a prévenu les spectateurs que Tout ce que tu possèdes, offrande post trilogie (La neuvaine, Contre toute espérance et La donation), était l'un des films les plus émouvants présentés au TIFF cette année. Il n'a pas menti.

Déchirures intérieures

C'est en effet le plus bouleversant des films de Bernard Émond. On y suit le parcours d'un prof de littérature désillusionné, confronté à ses propres déchirures intérieures. Pierre Leduc (superbe Patrick Drolet) s'est presque fait un devoir de ne s'attacher à rien dans sa vie, sinon aux auteurs qu'il aime. Parti quelques années en Pologne pour y refaire le parcours du poète Edward Stachura, mort en 1979, l'homme abandonne tout à son retour pour se consacrer à la traduction des oeuvres du poète suicidé. Il refuse en outre un héritage de 50 millions de dollars, estimant que la somme amassée par son riche industriel de père (Gilles Renaud) provient d'une exploitation honteuse des ressources naturelles et humaines. Une adolescente inconnue frappe un jour à sa porte. C'est sa fille. Née d'une union furtive avec une femme dont il ne fut pas vraiment amoureux.

Avec beaucoup de finesse, et de sobriété sensible, l'auteur cinéaste s'attarde à décrire l'état d'esprit d'un homme dont l'envie de dépouillement est tout à coup circonscrite par une quête de sens à la vie. À travers la magnifique poésie de Stachura, ici mise en abîme comme autant de liens brisés, Pierre tente à sa façon de se raccrocher à l'humanité. Confiné jusqu'à maintenant à un isolement choisi (vraiment?), blessé par trop d'abandons (tant sur le plan familial que littéraire et culturel), cet homme peut-il aujourd'hui se reconstruire?

«Je parle de choses simples, fait valoir Bernard Émond. Le cinéma, c'est l'art du temps et de l'attachement au monde. Ce qui compte dans la vie, ce sont les temps morts. Quand on tombe amoureux, le moment le plus important est celui où l'on n'arrive plus à parler. C'est ce qui m'intéresse.»

Maîtrisé de bout en bout, magnifiquement mis en images par Sara Mishara, et vibrant des notes lancinantes de Robert M. Lepage, Tout ce que tu possèdes fait partie de ces films qui accrochent le coeur pour atteindre l'âme sans faire de quartiers. Il prendra l'affiche au Québec le 2 novembre. On devrait avoir le temps de s'en remettre d'ici là...

Who's Bad?

Difficile à croire, mais il y a maintenant 25 ans, nous étions tous accrochés à nos téléviseurs pour découvrir enfin le «court métrage» musical Bad, tourné par un certain Martin Scorsese. L'événement annonçait la sortie du nouvel album de Michael Jackson, quatre ans après le triomphe historique de Thriller. Spike Lee retrace l'histoire de cet album phare, plage par plage. Il interviewe de nombreux intervenants, des collaborateurs, mais aussi des artistes ayant été influencés par le regretté «roi de la pop». L'excellent document Bad 25, d'une durée d'un peu plus de deux heures, est aussi très riche d'extraits inédits, captés à l'époque des enregistrements des «courts métrages» (Jackson concevait ses vidéos comme des films). Lee en donne évidemment beaucoup à voir et à entendre. Il propose ici un document très honnête, même s'il rejette du revers de la main l'aspect plus «controversé» du personnage. Les témoignages larmoyants se révèlent aussi superflus. On ne sait pas encore si le film sera distribué chez nous.