À huit jours du Festival de Cannes, le torchon brûle entre les organisateurs et le producteur Paulo Branco à propos du Don Quichotte de Terry Gilliam, objet d'un contentieux qui pourrait empêcher sa projection en clôture et conforter sa réputation de «film maudit».

Le producteur portugais et sa société de production Alfama Films ont demandé à la justice d'interdire la projection, prévue le 19 mai, de L'homme qui tua Don Quichotte, qui doit sortir le même jour en salles. La requête sera examinée en référé lundi 7 mai, la veille de l'ouverture de la 71e édition.

Les droits du film font depuis plusieurs mois l'objet d'un contentieux entre l'ex-Monty Python et Paulo Branco, qui les lui a achetés en avril 2016.

Sortant de leur réserve, Pierre Lescure et Thierry Frémaux, les patrons du festival, dénoncent, dans un communiqué au vitriol, les «agissements» du producteur portugais, connu pour ses collaborations avec Raul Ruiz et Manoel de Oliveira et son travail avec David Cronenberg, Wim Wenders, Chantal Akerman ou Christophe Honoré.

«Le "passage en force", chacun sait dans notre métier que cela a toujours été la méthode favorite de M. Branco dont il faut rappeler qu'il organisa il y a quelques années une conférence de presse pour dénoncer le Festival de Cannes qui n'aurait pas tenu une "promesse de sélection" sur un de ses films», affirment les deux responsables.

Prêt à respecter la décision de justice, quelle qu'elle soit, le Festival de Cannes apporte un soutien appuyé au réalisateur. Cannes «se tient du côté des cinéastes et en l'espèce du côté de Terry Gilliam, dont on sait l'importance qu'a pour lui un projet qui a connu tant de vicissitudes».

Le Don Quichotte de Terry Gilliam, adaptation très libre du classique de Cervantes, a failli ne jamais voir le jour: en 2000, l'ex-Monty Python avait dû abandonner le tournage en raison des problèmes de dos de l'acteur Jean Rochefort, disparu depuis, et à qui le film est dédié, et de pluies diluviennes.

Ce fiasco a fait l'objet d'un documentaire Lost in La Mancha (2002).

Soutien aux artistes

Au fil des ans, Gilliam a tenté de ressusciter son projet avec différents acteurs (Robert Duvall, Ewan McGregor, Owen Wilson, John Hurt...) mais a échoué faute de financements. Il a fini par le tourner avec Jonathan Pryce (Brazil) et Adam Driver (Star Wars: le Réveil de la Force).

«C'est comme être guéri d'une tumeur au cerveau, c'est comme d'être libre», commentait, ravi, Terry Gilliam lors d'un entretien en mars à l'AFP. «J'ai été prisonnier de Don Quichotte pendant 25 ans, presque 30, donc bye bye! Ma crainte est de décevoir.»

«C'est une tentative de passage en force dont Thierry Frémaux (le délégué général du festival) se rend complice», avait dénoncé la semaine dernière Juan Branco, avocat du producteur, après la sélection du film à Cannes. «Ce film ne peut avoir aucune forme d'exploitation sans l'accord préalable d'Alfama films production», pour les défenseurs de Paulo Branco.

Un volet de l'affaire a été examiné en appel à Paris début avril, avec une décision attendue le 15 juin. En première instance, en mai 2017, la justice française s'était prononcée en faveur de M. Branco, tout en rejetant la demande du producteur de stopper le tournage en cours.

«Nous étions prévenus des recours possibles et des risques encourus, mais en l'occurrence, lorsque notre décision a été prise, rien ne s'opposait à la projection du film au Festival», rappellent les organisateurs de Cannes.

Mais «les artistes ont besoin qu'on les soutienne, pas qu'on les attaque. Cela a toujours été la tradition du Festival de Cannes, et cela le restera», insistent-ils, alors que le festival aura une coloration très politique. Deux cinéastes en compétition sont assignés à résidence (le Russe Kirill Serebrennikov et l'Iranien Jafar Panahi) tandis que le film kenyan Rafiki, présenté dans la section Un certain regard, vient d'être censuré dans son pays, pour apologie de l'homosexualité.