Il y a exactement 40 ans, à une époque où la couverture médiatique était beaucoup plus modeste, Monique Mercure a obtenu le prix d'interprétation du Festival de Cannes grâce à sa performance dans J.A. Martin photographe, un film de Jean Beaudin dans lequel elle donnait la réplique à Marcel Sabourin. L'actrice a bien voulu remonter le fil du temps avec nous.

Au moment du tournage de J.A. Martin photographe, aviez-vous déjà le sentiment que ce rôle vous mènerait aussi loin?

J'avais déjà joué dans plusieurs films auparavant, des bons comme des mauvais. Mais pendant que nous tournions J.A. Martin photographe, j'ai dit à Jean et à Marcel - à la blague - que ce film-là était mûr pour Cannes. Je trouvais extraordinaire ce que nous étions en train de faire. Singulier aussi. Et différent de tout ce que j'avais fait jusque-là.

Quand l'annonce de la sélection a été faite, j'ai alors vu que la projection allait avoir lieu à trois jours de la première de Balcon, la pièce de Jean Genet que j'ai jouée au TNM. Tout cela est arrivé dans l'une des périodes les plus occupées de ma carrière. C'était complètement fou. J'ai d'ailleurs pris l'avion pour me rendre à Cannes tout de suite après une répétition. J'avais apporté ma valise au théâtre!

Aujourd'hui, l'ampleur de la couverture médiatique du Festival de Cannes fait en sorte que les vedettes sont soumises à un horaire très chargé dès qu'elles posent le pied sur la Croisette. Comment cela s'était-il déroulé pour vous à l'époque?

Le voyage, déjà, fut très compliqué. À mon arrivée, on m'a rapidement prise en charge, car les vols avaient eu du retard. Et j'étais déjà épuisée. On m'a d'abord emmenée sur une plage, face à l'hôtel Martinez, pour tout de suite accorder une entrevue à une journaliste de France Soir qui, dans mon souvenir, était en maillot de bain ! J'ai ensuite pu me reposer à l'hôtel quelques heures, mais nous avons tenu le soir même une promesse que nous nous étions faite au moment du tournage, Jean, Marcel et moi: aller boire du champagne à la terrasse du Carlton si jamais le film était retenu à Cannes.

Un journaliste de L'Express m'a félicitée en m'assurant que j'allais avoir le prix; un autre du Variety m'a dit avoir trouvé le film so and so. Le lendemain matin, un déjeuner de presse a eu lieu, pendant lequel personne ne m'a adressé la parole, et je me suis mise à pleurer de fatigue. Et d'alcool aussi, probablement. La projection officielle a eu lieu en tout début de soirée et nous avons marché du Martinez jusqu'au vieux Palais. Les gens tenaient à nous toucher, Jean, Marcel et moi! Honnêtement, je n'ai pas de souvenirs précis de la montée des marches, car tout cela s'est déroulé comme dans un rêve. J'ai dû voler! Après la projection, le relationniste français m'a dit qu'il fallait prévoir revenir à Cannes, car je faisais désormais partie des favorites pour le prix. Pour moi, c'était impossible: j'allais monter sur les planches dans trois jours!

Vous n'avez pu être présente sur place pour recevoir votre prix et vivre ce moment unique. Comment avez-vous appris que vous étiez la lauréate?

J'étais dans un studio de Radio-Canada pour enregistrer un épisode de l'émission pour enfants Le Gutenberg quand on m'a annoncé que ma mère était au téléphone et qu'elle avait un message urgent à me passer, de rappeler Cannes. Je me suis dit que j'avais sans doute oublié quelque chose là-bas, sans penser une seule seconde au palmarès. J'ai finalement réussi à les joindre, malgré une grève des téléphonistes canadiennes, et on m'a alors annoncé la nouvelle que je partageais ce prix ex aequo avec Shelley Duvall. On a tout fait pour que je puisse retourner à Cannes à temps pour la cérémonie, mais il était déjà trop tard. Forcément, ce fut une grande déception, voire un gros chagrin. Cela dit, on m'a organisé une fête magnifique au TNM. Et j'ai dû accorder une bonne centaine d'entrevues, sinon plus. On m'appelait de partout!

Photo RALPH GATTI, archives Agence France-Presse

Le réalisateur Jean Beaudin, l'actrice Monique Mercure et l'acteur Marcel Sabourin au Festival de Cannes en 1977

Y a-t-il eu des retombées directes pour vous? Est-ce que, par exemple, vous auriez pu faire comme Marie-Josée Croze, qui a eu le même prix en 2003, et vous installer en France pour faire carrière? En aviez-vous envie?

J'avais déjà plus de 45 ans quand on m'a remis ce prix. Je travaillais beaucoup au théâtre, à la télévision et au cinéma. Je ne me serais pas vue en train de changer de vie pour entreprendre une nouvelle carrière ailleurs. J'ai quand même reçu plusieurs offres après Cannes. J'ai tourné La chanson de Roland, dans lequel j'avais pour partenaire Klaus Kinski. J'ai joué aussi dans Quintet, un film de Robert Altman. Et David Cronenberg a fait appel à moi pour Naked Lunch. Bertrand Tavernier a travaillé sur un projet de film en coproduction avec l'ONF, dans lequel il voulait me donner un rôle, mais il ne s'est malheureusement jamais concrétisé. Quand je repense à cette époque, je me dis que c'est fou à quel point j'ai travaillé! 

Cannes 1977 en bref

Cette année-là a été la seule de l'histoire où deux films québécois étaient en lice pour la Palme d'or. En plus de J.A. Martin photographeLe vieux pays où Rimbaud est mort, un film de Jean-Pierre Lefebvre, a été sélectionné. Fait à noter: Marcel Sabourin était la tête d'affiche masculine des deux longs métrages québécois en compétition officielle.

Président du jury: Roberto Rossellini

Palme d'or: Padre Padrone de Paolo et Vittorio Taviani

Prix d'interprétation féminine (ex aequo): Monique Mercure - J.A. Martin photographe (Jean Beaudin) et Shelley Duvall - Three Women (Robert Altman)

Prix d'interprétation masculine: Fernando Rey - Elisa mon amour (Carlos Saura)

Prix du jury pour la première oeuvre: The Duellists de Ridley Scott

Photo Armand Trottier, archives La Presse

L'actrice Monique Mercure, gagnante du Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes, en compagnie de Marcel Sabourin, le 21 juin 1977