La compétition de ce 70e Festival de Cannes a mis du temps à démarrer, mais nous voilà enfin en selle. Le cinéaste franco-marocain Robin Campillo - réalisateur notamment de la série télé Les revenants et coscénariste de la Palme d'or 2008 de Laurent Cantet, Entre les murs - propose une leçon d'histoire doublée d'une histoire d'amour sur le combat du mouvement militant pour les droits des séropositifs au début des années 90.

Son nouveau long métrage, 120 battements par minute, s'intéresse en particulier au groupe ACT UP-Paris, qui avait notamment recouvert l'obélisque de la place de la Concorde d'un condom rose géant, à l'époque du scandale du sang contaminé en France. Une époque où il y avait encore plus de préjugés qu'aujourd'hui sur l'homosexualité et où un diagnostic de sida équivalait à une condamnation à mort à plus ou moins brève échéance.

Campillo filme de l'intérieur les actions, débats et luttes intestines au sein de ce regroupement militant, formé de séropositifs à la santé fragile ou déclinante. La lutte contre les sociétés pharmaceutiques, les assureurs et le gouvernement - celui de François Mitterand - trop lent à réagir. Avec en trame de fond les amitiés et les tensions, les amours et les désirs, et l'esprit de corps de ces militants pour la plupart homosexuels.

Film social de facture classique, 120 battements par minute est juste, sensible, cohérent, et absolument maîtrisé. Il met en scène des personnages crédibles et entiers, dont on partage forcément l'indignation. Nahuel Pérez Biscayart est particulièrement émouvant dans le rôle de Sean, militant exubérant et révolté devant cette maladie sournoise qui le ronge de l'intérieur. Un premier coup de coeur.

L'HOMME, ANIMAL DE CONTRADICTIONS

The Square du Suédois Ruben Östlund est aussi, malgré sa durée excessive (2 heures 22), susceptible de se retrouver au palmarès du jury dans une semaine. Cette nouvelle satire du cinéaste de Force majeure - Prix du jury d'Un certain regard en 2014 et finaliste à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère - aborde avec un humour décapant quantité de questions éthiques et de dilemmes moraux. Avec encore plus de profondeur que le précédent long métrage de Ruben Östlund, qui mettait en scène un homme craignant une avalanche dans les Alpes, fuyant une terrasse de station de ski en agrippant son téléphone portable plutôt que ses enfants...

Dans The Square, c'est le conservateur d'un musée d'art contemporain de Stockholm qui est confronté aux limites et aux contradictions de son discours d'ouverture et de tolérance. Ce séducteur célibataire, père de deux jeunes filles, roule en voiture électrique, prêche l'altruisme et plaide en faveur des exclus et des moins nantis. Mais lorsqu'il se fait voler portefeuille et téléphone cellulaire (clin d'oeil à Force majeure) par de petits criminels des quartiers défavorisés, on découvre les zones d'ombre de son narcissisme petit-bourgeois.

The Square, du nom de l'exposition qu'il prépare sur l'entraide et l'égalité des droits de tous, aborde de front l'hypocrisie et le manque d'empathie des sociétés capitalistes. Il s'intéresse aussi à la portée de l'art à l'ère du clic et du clip viral.

Voilà une oeuvre percutante et drôle, d'un humour noir qui rappelle le cinéma d'Aki Kaurismäki ou du compatriote d'Östlund, Roy Andersson. Un film qui bouscule et déstabilise - en multipliant les malaises, à la manière du cinéma de Michael Haneke -, sur la condition de l'homme et sa difficulté, finalement, à s'élever au-dessus des autres mammifères.

PHOTO CÉLINE NIESZAWER, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

120 battements par minute est le premier coup de cœur de notre envoyé spécial.