Il faisait un soleil de plomb au-dessus du pavillon du Québec samedi, où avait lieu le traditionnel cocktail de la SODEC. C'est là, près de la plage, que se retrouvent chaque année les artisans, créateurs et décideurs de l'industrie québécoise du cinéma à Cannes.

J'ai proposé au cinéaste d'animation Matthew Rankin de poursuivre notre entretien à l'ombre, où notre voisine était sans doute la plus jeune festivalière avec une accréditation photo de ce 70e Festival de Cannes : la fille d'à peine 6 mois de la productrice Félize Frappier et du cinéaste Philippe Falardeau.

Matthew Rankin est arrivé sur la Croisette lui aussi avec un bébé, cinématographique celui-là, sous le bras. Tesla : lumière mondiale, produit par l'ONF, est l'un des deux seuls nouveaux films québécois présentés dans l'une des sections du Festival de Cannes cette année. Il sera projeté en première mondiale mardi, dans le cadre de la Semaine de la critique.

Il s'agit d'un premier séjour cannois pour le cinéaste montréalais de 36 ans, originaire de Winnipeg. Et il en est évidemment ravi. « Cela procure au film une visibilité extraordinaire et une certaine légitimité qui lui permettra de circuler plus facilement », dit Rankin dans un français impeccable. Telsa : lumière mondiale a aussi été sélectionné au Festival d'Annecy, la Mecque du cinéma d'animation, en juin. Et s'il est tôt pour rêver aux Oscars, tous les espoirs semblent permis.

Inspiré de faits réels, ce film abstrait et surréaliste s'intéresse à l'inventeur Nikola Tesla, visionnaire idéaliste considéré comme le père du courant électrique alternatif, et à sa correspondance avec le mécène J.P. Morgan. 

« Je me suis inspiré de ses écrits. Tous les textes en voix off proviennent de ses lettres, même la partie où il décrit la mort de son oiseau et la lumière qui a jailli de ses yeux. »

- Matthew Rankin, réalisateur de Tesla : lumière mondiale

Nikola Tesla, né en 1856 dans l'actuelle Croatie et mort aux États-Unis en 1943, souhaitait rendre l'électricité accessible à l'ensemble de la population. C'est ce projet qui a inspiré cet intrigant film rétrofuturiste en noir et blanc à Matthew Rankin, qui vient de terminer la réalisation d'un film de fiction sur l'ex-premier ministre Mackenzie King.

L'esthétique singulière du film a été inspirée par le dadaïsme et l'expressionnisme allemand, et des séquences de pixélisation font inévitablement penser au célèbre Il était une chaise de Norman McLaren et Claude Jutra. Un oiseau de feu électrique très particulier veille sur cette oeuvre expérimentale, éblouissante comme le soleil qui surplombait samedi la baie de Cannes.

photo IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Le réalisateur Matthew Rankin

PETITES FROUSSES

Petite frousse, samedi, alors que je me suis rendu compte, en discutant avec Monique Simard de la SODEC, que j'avais perdu mon téléphone portable. Aussi bien dire le plus indispensable de tous mes outils de travail. Heureusement, on l'avait conservé pour moi au service de sécurité du Marché.

À force de passer les contrôles cinq ou six fois par jour, avec portails, détecteurs de métal et fouille des sacs comme à l'aéroport, on finit par perdre des morceaux. « Faites attention, monsieur, votre téléphone est noir comme nos bacs, m'a dit l'agent de sécurité. Mais vous n'auriez pas un petit accent canadien ? » Un tout petit, oui...

J'aurais dû, mais je n'ai pas eu le même genre de frousse, en soirée. Après avoir attendu 45 minutes pour entrer dans la salle Debussy, nous avons été évacués d'urgence en raison d'une alerte au colis suspect. Je marchais tranquillement vers la sortie, croisant des agents de l'escouade tactique qui couraient, eux, vers la salle. Ce n'est que lorsque j'ai vu le personnel du Palais sortir en vitesse que j'ai pressé le pas.

« En raison d'un doute sur un objet dans l'auditorium Debussy, le protocole de sécurité a été engagé et le Foyer de la salle a été évacué par mesure de précaution, a déclaré le service de presse du Festival. Le protocole de vérification a permis très rapidement la levée de doute et tout est rentré dans l'ordre. »

Fausse alerte, donc. « Il n'y a pas de risque à prendre, surtout avec ce qui s'est passé à Nice, m'a dit un autre agent, en remarquant lui aussi mon accent. Vous savez pourquoi il n'y a pas d'attentats au Canada ? Parce qu'il n'y a pas autant d'Arabes que chez nous ! » Sympathique. Je n'ai pas osé lui demander s'il avait voté Marine Le Pen à l'élection présidentielle, ni lui dire que mes propres enfants étaient à moitié arabes...

photo Olivier MORIN, agence france-presse

Les festivaliers doivent se plier au protocole de sécurité, qui inclut des détecteurs de métal et la fouille des sacs, plusieurs fois par jour.