Si les délibérations du jury du Festival de Cannes sont confidentielles, des fuites en ont parfois dévoilé les coulisses, révélant pressions, manoeuvres et guerres intestines.

Rossellini, despote éclairé

En 1977, Roberto Rossellini règne sur le jury en despote éclairé. Le président du festival, Robert Favre Le Bret, veut que la Palme d'or aille à Une journée particulière d'Ettore Scola. Mais Rossellini préfère le film des frères Taviani Padre Padrone, tourné en 16 mm amateur pour la télévision. Pour convaincre une des membres du jury, qui hésite à le suivre, le maître du cinéma va jusqu'à lui offrir un bijou hors de prix, qu'il facture au nom de Favre Le Bret. Le jour du palmarès, provocateur, Rossellini remet lui-même la Palme aux frères Taviani en lançant: «Sans la télévision, le cinéma va mourir».

Effaré, Robert Favre Le Bret promet de faire dorénavant appel pour le jury de Cannes à «plus de vrais professionnels et moins d'amateurs».

La «compétition truquée» de Françoise Sagan

En 1979, la Palme d'or est attribuée ex-aequo à Apocalypse Now de Francis Ford Coppola et Le tambour de Volker Schlöndorff. Sept mois plus tard, coup de tonnerre: la présidente du jury, Françoise Sagan, affirme dans la presse que la compétition a été «truquée» et accuse Robert Favre Le Bret d'avoir fait pression sur le jury qui ne comptait récompenser que Le tambour.

«Se greffent dans cette polémique des considérations financières mesquines», écrit l'AFP à l'époque. La romancière se plaint que l'hôtel dans lequel elle résidait à l'invitation du festival lui ait demandé de payer ses frais de séjour. Cannes réplique en rendant public le montant faramineux de ces «extras».

Polanski fait boire le jury

En 1991, un seul film en compétition trouve grâce aux yeux du président du jury, Roman Polanski: Barton Fink des frères Coen. Le cinéaste veut lui attribuer tous les prix. La veille du palmarès, il organise une délibération privée, fortement arrosée, et en profite pour obtenir la totalité des voix du jury en faveur d'une Palme d'or à Barton Fink. Le lendemain, lors de la délibération officielle, la décision est contestée, mais Roman Polanski refuse catégoriquement un nouveau vote. Barton Fink repart avec trois prix : la Palme d'or, le Prix de la mise en scène et le prix d'interprétation masculine pour John Turturro. Une telle concentration fait des vagues dans la profession. Au point que la direction du festival établit l'année suivante des règles drastiques pour le palmarès. Désormais, un même film ne peut recevoir qu'un seul prix. Seule exception autorisée, le prix d'interprétation masculine ou féminine peut être attribué à un film déjà lauréat d'un autre prix, sur dérogation exceptionnelle de la présidence du festival.

La guerre Adjani-Moretti

En 1997, Isabelle Adjani préside le jury, dans lequel figure notamment le réalisateur italien Nanni Moretti. Le jour de l'ultime délibération, l'actrice veut attribuer la Palme d'or à De beaux lendemains d'Atom Egoyan. Mais les autres jurés penchent nettement pour L'anguille de Shohei Imamura. Nanni Moretti, qui a une préférence pour Le goût de la cerise d'Abbas Kiarostami, suggère à Adjani de demander au festival l'autorisation d'attribuer une double Palme. Elle accepte, pensant que le réalisateur italien va soutenir De beaux lendemains. Mais celui-ci vote en faveur de L'anguille et convainc les autres membres de jury de choisir comme Palme ex-aequo Le goût de la cerise. Adjani qualifiera dans la presse Nanni Moretti de «Machiavel».