De retour à Cannes après avoir offert au monde Les amants passagers, une comédie oubliable, le chef de file du cinéma espagnol retrouve sa belle forme grâce à Julieta, un mélo très sobre dans lequel il dessine, encore une fois, un magnifique portrait de femme.

Qui aurait pu croire qu'un jour, l'univers d'Alice Munro s'intégrerait aussi harmonieusement dans celui de Pedro Almodóvar? C'est pourtant le cas. Julieta est en effet inspiré par trois nouvelles de la romancière canadienne, que le chantre de la Movida a recadrées en Espagne en les fusionnant en une seule intrigue.

Au départ, le cinéaste avait pourtant l'intention de faire de ce projet son premier film anglophone.

«J'avais carrément l'intention de venir tourner le film au Canada, puis à New York, que je connais un peu mieux, a-t-il expliqué au cours d'une conférence de presse. J'ai même approché une actrice américaine qui voulait travailler avec moi. Mais au fil de l'écriture, j'ai eu un doute car les familles nord-américaines sont très différentes des familles espagnoles. Et quand on a un doute, même petit, il vaut mieux s'abstenir!»

À l'arrivée, il ne reste plus beaucoup de choses du texte d'Alice Munro, hormis la trame narrative, mais le cinéphile y gagne en revanche un film portant pleinement la signature du cinéaste. Dans une galerie de personnages féminins déjà très riches, composée au fil de 20 longs métrages, Almodóvar en ajoute ici un autre, plus vulnérable, plus tragique.

Le thème de la culpabilité

La vie de Julieta a en effet été marquée par deux grands drames: le deuil d'un mari pêcheur qu'une tempête subite a emporté, et la disparition, plus mystérieuse, d'une fille dont elle était très proche et qui, du jour au lendemain, a cessé de donner de ses nouvelles.

«J'aborde le thème de la culpabilité pour une première fois, a indiqué Pedro Almodóvar, aujourd'hui âgé de 66 ans. Mais pas une culpabilité de nature religieuse ou judéo-chrétienne, plutôt en terme de responsabilité personnelle. Dans cette histoire, le destin est très présent. Julieta est la victime des évènements de sa vie. Il est certain que le fait de prendre de l'âge a un effet sur mon cinéma. Je n'aurais sans doute pas pu faire ce film plus jeune. J'avoue que j'ai parfois la nostalgie de mes années de jeunesse. Les années 80 me manquent!»

Évoquant son maître Luis Bunuel, le réalisateur de Parle avec elle a déclaré avoir souri très vite à l'idée de faire jouer Julieta par deux actrices différentes, selon l'époque décrite dans le récit.

«C'est un peu comme dans Cet obscur objet du désir, dans lequel le même personnage était joué par Carole Bouquet et Angela Molina, dit-il. Je n'aime pas vieillir artificiellement les actrices, ni les maquiller pour leur donner un visage plus âgé. Il y a quelque chose de naturel dans les yeux d'une actrice plus mûre qui ne s'invente pas. On ne peut pas maquiller un regard.»

Le cinéaste a fixé son choix sur deux actrices remarquables. Adriana Ugarte, révélée dans des séries télévisées espagnoles, incarne la Julieta plus jeune, amoureuse enjouée dont le destin semble emprunter une direction très enviable. Emma Suarez se glisse dans la peau de la Julieta plus mûre, marquée par des drames intimes dont elle a visiblement beaucoup de mal à se remettre.

Une approche sobre

Julieta est un film esthétiquement coloré, bien sûr. À cet égard, le cinéaste a expliqué qu'il pouvait difficilement faire autrement, ayant grandi à la grande époque du technicolor et du pop art. Cela dit, ce mélo très assumé est d'une grande sobriété sur le plan de la mise en scène. Comme si, cette fois, Almodóvar avait voulu mettre à l'avant-plan les tourments intérieurs des différents personnages, faire écho à leur vraie douleur.

Même si Julieta est l'un des beaux films d'Almodóvar, il serait quand même étonnant qu'il emporte la Palme d'or dimanche. Il s'agit d'une cinquième sélection cannoise pour le cinéaste mais seulement deux films ont été primés: Tout sur ma mère (Grand prix du jury en 1999) et Volver (meilleur scénario en 2006).

«Tant qu'à venir à Cannes, je préfère inscrire mon film en compétition, a précisé celui qui, en 2004, avait quand même présenté La mauvaise éducation hors compétition. Il me semble que c'est plus intéressant pour tout le monde. Et puis, je n'ai pas un statut de vache sacrée à Cannes, contrairement à ceux qui présentent leur film hors compétition. Je respecte la position de Woody Allen et de Steven Spielberg mais je ne crois pas avoir leur talent!»

Panama Papers: des rôles mineurs

Au cours de la conférence de presse, la question des Panama Papers a évidemment été soulevée. Cité pour une société extraterritoriale qu'a créée son frère Agustín en 1991 (et fermée trois ans plus tard), le cinéaste espagnol a alors vu sa réputation entachée, particulièrement dans la presse de son pays.

« Nos deux noms sont probablement les deux moins importants dans tous ceux qui ont été révélés, a déclaré Pedro Almodóvar. Si Panama Papers était un film, nos noms ne figureraient même pas au générique tellement nos rôles sont insignifiants. Or, les médias espagnols ont fait de nous les acteurs principaux de cette affaire. »

Dans des interviews publiées au lendemain de cette révélation, le duo avait imputé cette erreur à leur inexpérience.