Il est assez remarquable de constater les nombreux films en anglais tournés par des cinéastes étrangers cette année. Seulement du côté des oeuvres sélectionnées en compétition officielle, on note que le Grec Yorgos Lanthimos (The Lobster), les Italiens Matteo Garrone (Tale of Tales) et Paolo Sorrentino (Youth), le Norvégien Joachim Trier (Louder than Bombs), le Mexicain Michel Franco (Chronic), sans oublier le Québécois Denis Villeneuve (Sicario), proposent leur plus récente offrande dans la langue de Shakespeare. Même Jia Zhangke fait (très mal) parler ses comédiens en anglais dans la dernière partie de son film Mountains May Depart.

Dans le cas de films produits entièrement aux États-Unis (c'est le cas de Sicario) ou dans un autre pays anglo-saxon, l'usage se justifie pleinement. On ne peut toutefois en dire autant de ces longs métrages produits par des pays européens, dont la langue nationale n'est pas l'anglais. Aussi cette domination linguistique commence-t-elle à susciter l'inquiétude ici. Assez pour provoquer un débat.

Certains parlent d'une simple coïncidence; d'autres y voient une menace à la diversité du cinéma européen. Et mondial. Des cinéastes revendiquent de leur côté la liberté de leurs choix artistiques, tout en précisant, comme l'a fait Yorgos Lanthimos, qu'ils disposent habituellement de meilleures ressources quand ils choisissent de tourner leur film en anglais. «Il faudra attendre de voir s'il s'agira de plus qu'une tendance passagère», a déclaré à l'Agence France-Presse Thierry Frémaux, délégué général du festival.

Une raison: Michael Caine

Avec Youth, Paolo Sorrentino n'en est pas à son premier film anglophone. C'est notamment à lui que l'on doit There Must Be the Place. Mais le cinéaste italien se fait aussi valoir grâce à des films tournés dans la langue de Dante. Il Divo (2008) a obtenu le Prix du jury à Cannes. Il y a deux ans, La grande bellezza avait été écarté du palmarès cannois pour ensuite obtenir à peu près tous les autres prix possibles et imaginables au cours de l'année, y compris l'Oscar du meilleur film en langue étrangère.

S'il ne devait y avoir qu'une seule raison pour justifier la langue anglaise dans Youth, présenté hier en compétition, elle pourrait emprunter la forme d'un nom: Michael Caine. Le vétéran est tout simplement magnifique dans ce film dont le scénario est construit autour de deux vieux amis artistes. L'un est un chef d'orchestre à la retraite (Caine), bien décidé à n'en sortir sous aucun prétexte (fût-il même royal). L'autre (Harvey Keitel) est un cinéaste qui, au contraire, bûche sur le scénario d'un film qu'il souhaiterait livrer en guise de testament artistique.

À la fois drôle et profond, ponctué de scènes oniriques parfois étonnantes, Youth est une réflexion à la fois tendre et lucide sur le temps qui passe. Et parfois cruelle. On notera au passage un morceau de bravoure de Jane Fonda, irrésistible dans la peau d'une vieille vedette de cinéma, venue en Suisse expressément pour lancer ses quatre vérités au visage du cinéaste qui l'a révélée. Quelques fabuleux traits de mise en scène se distinguent aussi de l'ensemble.

Les trois acteurs ont été très applaudis par les journalistes lors de leur arrivée dans la salle où ont lieu les conférences de presse, mais Michael Caine a eu droit à une claque encore plus nourrie. L'acteur britannique, âgé de 82 ans, n'avait pas mis les pieds sur la Croisette depuis... 49 ans!

«J'étais venu avec Alfie, a-t-il raconté délicieusement. Comme on ne m'avait pas donné de prix, j'avais décidé de ne jamais revenir! Mais je suis ravi d'être là, car j'aime vraiment beaucoup ce film. Je veux le soutenir, qu'il ait un prix ou pas!»

Si jamais Youth était primé dimanche, le vétéran estime que la récompense devrait être partagée entre tous les artisans du film.

«À une certaine époque de ma vie, j'ai été soldat, a-t-il expliqué. Si tu t'en sors vivant, c'est grâce aux autres qui étaient là avec toi. Au cinéma, c'est pareil. C'est un travail de collaboration. Si tu survis, c'est grâce à tes partenaires.»

Dédié à Francesco Rosi

Paolo Sorrentino a par ailleurs expliqué ainsi la dédicace au grand cinéaste Francesco Rosi, mort en janvier dernier.

«D'abord, il s'agit d'un très grand cinéaste, qui en a influencé plusieurs autres, notamment Martin Scorsese. Il y a quelques années, je suis allé le voir et il m'a parlé d'une histoire de jeunesse. Ce fut l'élément déclencheur pour l'écriture de ce film.»

Un mot, enfin, sur l'affiche, racoleuse à souhait. On y voit les deux vétérans dans une piscine en train de regarder une superbe jeune femme nue. Or, le récit est beaucoup plus fin que cette affiche, qui pourrait laisser croire à une dérive libidineuse de deux hommes d'âge mûr. Cela dit, cette affiche a beaucoup ému Michael Caine.

«Quand ces deux hommes regardent cette splendide jeune femme, ils contemplent ce à quoi ils n'auront jamais plus accès. Ça m'a rendu triste. Moi, j'ai pleuré en regardant cette affiche!»