Sicario a été fort apprécié des festivaliers. Qui l'ont pris pour ce qu'il est: un thriller de qualité supérieure, magnifiquement réalisé, qui n'est toutefois pas du moule dans lequel on coule habituellement l'or d'une Palme.

De son aveu même, Denis Villeneuve a été surpris d'être invité au grand bal cannois grâce à un film comme Sicario.

Même s'il se distingue avantageusement à bien des égards, il est vrai que ce narco-thriller sombre, toujours sous haute tension, ne correspond pas tout à fait à l'image du «film de festival» qu'on couvrira d'honneurs et de lauriers.

À moins que le jury décide de faire un coup d'éclat (pourquoi pas?), on voit mal comment ce film d'action pourrait se retrouver au palmarès, sinon, peut-être, pour un prix spécifique qu'on attribuerait à un artisan. Le vétéran directeur photo Roger Deakins, qui a fait une fois de plus un travail admirable, serait sans doute le candidat idéal pour ce genre de récompense.

«Je ne tiens rien pour acquis, a déclaré le cinéaste québécois, tout sourire lors de la conférence de presse - très courue - tenue au Palais des festivals. Je suis ravi d'être ici grâce à ce film qui m'est très personnel, que j'ai fait sans compromis, en toute liberté. Je sais que le public cannois a la réputation d'être difficile, mais à ce qu'on me dit, ça s'est plutôt bien passé ce matin!»

De très belles qualités

En effet, Sicario a été fort bien accueilli lors de la toute première projection, destinée à la presse, ainsi qu'en projection officielle. Denis Villeneuve a ainsi passé les étapes du test cannois avec grâce. À la sortie, on pouvait entendre les festivaliers louer les très belles qualités de réalisation du film, son indéniable efficacité, et s'extasier sur les prises de vues, à couper le souffle parfois.

De façon habile, le récit fait également écho aux méthodes utilisées par les différentes agences américaines pour tenter d'enrayer le fléau du trafic de la drogue à la frontière séparant le Mexique des États-Unis. En cela, le film suscite de grandes questions éthiques.

Construit autour de trois personnages principaux, le scénario de Taylor Sheridan fait écho aux trois jours «horribles» que vit Kate (Emily Blunt), une recrue idéaliste du FBI, après avoir été enrôlée pour aider un groupe d'intervention dirigé par un agent du gouvernement (Josh Brolin). La première scène du film, qui nous cloue sur notre siège dès le départ, indique d'ailleurs comment la jeune femme, spécialisée dans les affaires d'enlèvements, a réussi à se faire remarquer par les autorités.

Il appert pourtant qu'avec l'aide d'un consultant d'origine colombienne (Benicio Del Toro), le groupe s'apprête à exécuter - de façon clandestine - une opération d'envergure afin d'épingler de l'autre côté de la frontière un important caïd de la drogue. Les scènes se déroulant pendant le voyage - l'imposant convoi part d'El Paso au Texas et se rend jusqu'à Juárez au Mexique - figurent sans doute parmi les plus impressionnantes que nous ayons vues récemment dans un film américain. Villeneuve ne lésine sur rien pour faire écho à la plus sauvage des réalités. Les accents dramatiques de la trame musicale, signée par le compositeur islandais Jóhann Jóhannsson, installent d'emblée un climat anxiogène.

Une approche pudique

Bien que son film soit très dur, macabre aussi parfois, le cinéaste reste néanmoins pudique quant à la représentation de la violence. La réalité est aussi montrée au spectateur du point de vue de Kate. Qui en sait finalement très peu sur les détails de la fameuse mission. Ultimement, Sicario évoque les manquements éthiques découlant d'une doctrine selon laquelle la fin justifie les moyens. Ce questionnement ne pourrait être plus d'actualité.

«C'est ce qui m'a attiré quand j'ai lu le scénario, a indiqué le cinéaste. Nous vivons à une époque où ces questions se posent plus que jamais. En tant que Nord-Américain, les horreurs et la violence causées par le trafic à la frontière américano-mexicaine m'interpellent. Nous savons ce qui se passe là-bas et pourtant, on en parle très peu. Nous avons tous notre part de responsabilité. Ce film parle de l'Amérique, pas du Mexique.»

Un discours neuf

Benicio Del Toro a de son côté fait valoir son expérience à titre d'acteur ayant souvent joué dans des films où la guerre des narcotrafiquants était évoquée.

«C'est un sujet auquel je suis très sensible, a-t-il dit. Denis dit quelque chose de nouveau, à travers le personnage que je joue. Cet homme est mû par la vengeance et, à ses yeux, tous les moyens sont bons, qu'ils soient légaux ou pas. Deux des trois personnages du film ont cette philosophie. L'autre n'est pas d'accord et pose des questions. C'est ce qui rend ce film intéressant.»

Tous les acteurs ont par ailleurs exprimé leur joie d'avoir tourné sous la direction du réalisateur d'Incendies et de Prisoners. Visiblement complices, et aussi très fiers du film (qu'ils ont d'abord vu en projection privée), les comédiens ont notamment souligné le caractère humble du cinéaste, de même que l'atmosphère joyeuse qui régnait sur le plateau, en parfait contraste avec les scènes parfois très difficiles qu'ils avaient à jouer. Josh Brolin croit en outre avoir démasqué le vrai visage de Denis Villeneuve.

«Moi, je ne le crois plus, a-t-il dit en faisant rire la salle, pleine à craquer. Denis est très malin. D'abord, il dit toujours qu'il ne sait rien. Alors il te demande ton avis et il oriente la conversation de façon à te faire croire que l'idée qu'on va retenir vient de toi. Puis, tu visionnes le film une première fois et tu t'aperçois que tout est archimaîtrisé de bout en bout. Un cinéaste qui ne sait pas ce qu'il fait ne peut pas accoucher d'un film comme celui-là. C'est impossible. Et c'est là que tu te rends compte que toutes les bonnes idées que tu croyais avoir eues viennent en fait de lui. Il savait très bien ce qu'il faisait!»

__________________________________________________________________________

Sicario prend l'affiche le 18 septembre en Amérique du Nord.