Avec trois films en lice pour la Palme d'or, les réalisateurs italiens joueront cette année aux avant-postes à Cannes, mais cette vitalité d'un cinéma de qualité qui s'exporte ne doit pas faire oublier la morosité du secteur en Italie.

Ma mère de Nanni Moretti, sur les doutes d'une cinéaste en pleine crise créative et personnelle face à la maladie de sa vieille mère, Youth (La Giovinezza) de Paolo Sorrentino, ou l'histoire de deux vieux amis, un réalisateur et un compositeur de musique à la retraite, et The Tale Of Tales (Il Racconto dei racconti) de Matteo Garrone, libre adaptation de contes du XVIIe siècle de l'auteur napolitain Giambattista Basile, seront projetés sur la Croisette.

C'est la première fois depuis 1994 que trois réalisateurs italiens concourent en même temps pour la Palme - une récompense déjà obtenue par Moretti en 2001 pour l'émouvant Chambre du fils -, illustrant ainsi la «vitalité» du cinéma italien selon le ministre de la Culture, Dario Franceschini.

Trois films mais deux visions différentes: si le «patriarche» Moretti, 61 ans, a tourné dans la langue de Dante et avec des acteurs transalpins - à l'exception notoire de l'irrésistible John Turturro en «vedette américaine» -, les quadragénaires Garrone et Sorrentino ont choisi l'anglais et une distribution de stars internationales (Harvey Keitel, Michael Caine, Salma Hayek, Vincent Cassel, Rachel Weisz...). Le premier s'est déjà distingué à Cannes avec Gomorra (Grand prix en 2008), et le second a été récompensé à Los Angeles pour La grande bellezza (Oscar du meilleur film étranger en 2014).

Dans un communiqué commun, les trois réalisateurs, qui se sont dits «heureux et fiers», ont également conscience qu'il s'agit là «d'une grande occasion pour nous et pour tout le cinéma italien», et que leur présence à Cannes agira comme «un stimulant pour tant d'autres réalisateurs italiens en quête de voies moins évidentes et conventionnelles».

Habitués de la Croisette - Moretti, président du jury en 2012, s'y présentera pour la 11e fois! -, ces trois cinéastes s'inscrivent dans «l'extraordinaire tradition du cinéma italien, celui qui a fait notre pays, qui l'a raconté», selon le président de la Cineteca de Bologne, Gian Luca Farinelli.

Cette reconnaissance internationale d'un certain cinéma italien cache cependant le fait que «depuis 35 ans, l'Italie est devenu un pays de télévision», aux financements publics réduits, «qui n'a pas encore compris que la culture était un formidable outil de développement économique», déplore-t-il dans un entretien à l'AFP.

En outre, «ce pays a oublié ce que le cinéma lui a apporté, comment il a constitué un instrument de formation de générations d'Italiens», souligne M. Farinelli, regrettant notamment le «manque de culture cinématographique du jeune public», qui va de moins en moins souvent au cinéma (-6% de fréquentation en 2014 par rapport à 2013, -15% pour les seuls films italiens).

Le fait que les jeunes regardent de plus en plus les films sur internet et que les salles ferment y est également pour beaucoup: la France dispose par exemple de plus de 5300 écrans, contre 3770 en Italie.

Au box-office italien, ce cinéma d'auteur fait peu recette: Habemus papam de Moretti n'est arrivé qu'à la 30e place des entrées en 2001, La Grande Bellezza, 21e (7e des films italiens) en 2013... Seul Gomorra a fait mieux avec une modeste 10e place en 2008, selon des chiffres du ministère.

Car les Italiens préfèrent bien souvent des comédies formatées, aux budgets réduits (de l'ordre de 800 000 euros) et non exportables, qui sortent notamment à Noël (les «cinepanettone»), constate amèrement le critique du Fatto Quotidiano, Augusto Sainati, pour qui l'Italie reste «un pays à double vitesse».

Pour le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, une chose est pourtant sûre: «même s'il y a les télévisions, s'il y a des désengagements divers et variés de l'État, le cinéma italien ne mourra pas», car «ça fait partie de leur ADN de faire des films».