L'écrin des Alpes suisses est le lieu intemporel qu'a choisi le réalisateur français Olivier Assayas pour tourner Sils Maria, long métrage présenté vendredi en compétition officielle à Cannes dans lequel Juliette Binoche campe Maria Enders, une actrice quadragénaire confrontée aux affres du temps qui passe.

À 18 ans, Maria a connu le succès au théâtre en incarnant Sigrid, jeune fille ambitieuse et au charme trouble qui fascine et conduit au suicide une femme mûre, Helena. Vingt ans plus tard, à la mort de l'auteur de la pièce, un metteur en scène propose à Maria Enders de la reprendre, mais cette fois en incarnant le rôle d'Helena. Maria hésite, mais finit par accepter d'endosser le rôle.

Pour le préparer, Maria est aidée par sa jeune assistante Valentine, jouée par une étonnante Kristen Stewart qui, après Twilight, prend de l'épaisseur avec ce rôle de «working woman» aux allures androgynes. Mais comme dans la pièce, Valentine est en désaccord avec Maria sur la façon d'incarner Helena.

«C'est un tel changement de perspective pour (Maria) que ça lui pose toutes sortes de question sur le passage du temps», note Olivier Assayas, lors d'un entretien à l'AFP.

Le serpent de Maloja

Le rôle a été inspiré et coécrit par Juliette Binoche, explique le réalisateur. «Le désir de Juliette a anticipé le mien. Je me suis servi d'elle, de son caractère, de sa personnalité, de sa carrière aussi pour construire le personnage de Maria».

Sils-Maria est le nom d'un village des Grisons, dans les montagnes Suisse, où Nietzsche eut la révélation du mythe de l'éternel retour. Mais cette référence toute en symbole reste «anecdotique», selon Olivier Assayas qui voulait surtout «un paysage peuplé de fantômes», «habité à la fois par un mystère jamais tout à fait résolu», celui du serpent de Maloja (phénomène météorologique local restant à ce jour en partie inexpliqué) et «par l'Histoire» car ce coin de Suisse «a été la source d'inspiration de nombreux écrivains, poètes ou peintres», souligne-t-il.

Il place délibérément son histoire, tournée en anglais, «dans un monde intemporel, la nature, sur lequel le temps n'a pas prise». En même temps, les références à internet, aux réseaux sociaux, aux blogs sur les people sont légions, ancrant le film dans l'époque contemporaine.

«J'aimais bien cette idée que les comédiens ont trois vies superposées: leur vie réelle, quotidienne, une autre qui est celle des personnages de fiction qu'ils incarnent et une troisième sur internet, sorte d'avatar qui existe dans la presse people, qui est traqué par les paparazzi», a-t-il expliqué.

Lors d'une conférence de presse à l'issue de la projection, Juliette Binoche a dit s'être «beaucoup amusée» pour incarner son personnage, pris dans ce troublant jeu de miroirs. Interrogée sur ce qu'il y avait de biographique dans son interprétation, l'actrice a estimé que les acteurs ne pouvaient «pas jouer toujours les mêmes rôles: plus on vit et plus se creusent en nous les questions essentielles, c'est comme une glaise qu'on malaxe».

Ce film signe les retrouvailles d'Olivier Assayas et de Juliette Binoche (prix d'interprétation féminine au festival de Cannes de 2010) qui ont débuté ensemble sur le tournage de Rendez-vous (1984) d'André Téchiné, lui comme coscénariste, elle comme actrice. Ils avaient ensuite tourné ensemble L'heure d'été en 2007.