Vêtu d'un veston vert, il s'est présenté sobrement devant la presse internationale en compagnie de son équipe. Accompagné des trois interprètes de Mommy, Anne Dorval, Suzanne Clément et Antoine-Olivier Pilon, et de la productrice Nancy Grant, Xavier Dolan était visiblement ravi d'être là. Ému même. Les quatre personnes qui l'accompagnaient à la grande table des conférences de presse sont des amis. Et font partie de ceux qui construisent son oeuvre avec lui.

Depuis la toute première projection de Mommy mercredi soir, celle destinée à la presse, la rumeur s'emballe d'une ferveur toute cannoise qui semble s'accentuer. Les médias de référence du monde entier placent désormais le cinquième long métrage de Xavier Dolan parmi les favoris de la compétition.

Dans les couloirs, dans les salles, les discussions s'animent dans toutes les langues. On capte un «Mommy» ici, un «Dolan» là. Tout le monde en parle, comme dirait l'autre. Quelques voix discordantes se font bien sûr entendre, mais dans l'ensemble, l'élan d'enthousiasme est bien réel.

Une question «piège»

À vrai dire, la rumeur est telle que plusieurs festivaliers verraient bien le jeune homme, maintenant âgé de 25 ans, monter sur la scène du Théâtre Lumière demain pour aller cueillir sa Palme d'or. Cela dit, restons prudents. L'histoire nous a en effet enseigné de nombreuses fois à quel point les choix d'un jury composé de neuf personnes restent imprévisibles.

Avant de répondre à une question «piège» gentiment lancée par un collègue torontois, le cinéaste a bien pris soin d'en appeler aussi à la réserve en disant que sa seule préoccupation, à quelques heures de la montée des marches, était de ne pas se prendre les pieds dans le tapis rouge.

Alors voici. Dans le cas d'une victoire - qui, dans un cas comme dans l'autre, serait une première -, celle-ci serait-elle québécoise ou canadienne?

«Ha ha! Bien joué! a répondu Dolan dans la langue de Shakespeare. Si jamais nous devions remporter un prix, oui, je suis québécois. Et l'on sait que le Québec fait partie du Canada. Peu importe mes opinions politiques, mon film est très québécois. Cela dit, la notion de pays ou de province ne veut strictement rien dire aux gens de ma génération. Un prix enverrait surtout un message extraordinaire aux gens de mon âge. Un message d'espoir aussi.»

Pas la même chose

Mommy raconte l'histoire d'une relation passionnée entre une mère et son fils, en proie à des excès de violence. La question d'un lien possible entre ce nouveau film et J'ai tué ma mère a inévitablement été évoquée. Même s'il présente une similitude apparente sur le plan des thèmes, Mommy n'a rien à voir avec le film qui a révélé Xavier Dolan à la Quinzaine des réalisateurs, il y a cinq ans.

«J'ai tué ma mère était complètement autobiographique, précise l'auteur cinéaste. Mommy n'a rien à voir avec ma propre vie. Je suis plutôt parti d'un article que j'avais lu il y a très longtemps. Ça racontait l'histoire d'une mère américaine qui emmenait son fils de 7 ans dans une institution parce qu'elle avait peur de sa violence. Je trouve qu'il y a toujours des thèmes très intéressants à explorer dans les relations mère-fils. Cela me permet aussi d'écrire des personnages féminins forts. Dans mon premier film, j'avais besoin de sortir des choses, dans l'urgence. Cinq ans plus tard, je raconte l'histoire d'une mère qui se venge de son fils, d'une certaine façon.»

Questionné aussi à propos du ratio 1:1, qui donne une image très carrée, rarement utilisée de nos jours, Dolan a expliqué que l'idée est venue de l'as directeur photo André Turpin.

«André rêvait depuis des années de travailler avec ce format. En l'utilisant, nous nous sommes aperçus que les personnages étaient vraiment mis en valeur. Les distractions sont coupées. Le regard du spectateur est emprisonné dans le regard du personnage. Forcément, il y avait de belles possibilités qui permettaient de jouer avec le langage. Adieu au langage!», a-t-il lancé en clin d'oeil au titre du nouveau film de Jean-Luc Godard, aussi en compétition.

Interrogé aussi à propos du caractère référentiel de son cinéma, Dolan estime que cet aspect n'est pas aussi présent que certains le croient.

«Mes références sont beaucoup moins nombreuses que celles qu'on veut me prêter, a-t-il déclaré. Oui, j'ai des héros. Celui dont je me sens le plus proche, c'est Gus Van Sant. Ses films sont libres dans la forme, pas toujours rectilignes, il y a des digressions qui apportent de l'émotion.»

Xavier Dolan a conclu l'exercice en réitérant sa volonté de prendre une pause pour aller faire des études.

«Je mènerai une vie plus normale, avec des gens de mon âge, et aussi avec l'espoir de les embrasser un petit peu!»

Ken Loach déçoit

Hasard ou coïncidence, Jimmy's Hall, le plus récent long métrage de Ken Loach, déjà lauréat d'une Palme d'or en 2006 grâce à The Wind that Shakes the Barley (Le vent se lève), a aussi été présenté hier en compétition officielle. Xavier Dolan a d'ailleurs affirmé que Sweet Sixteen, l'un des longs métrages précédents du vétéran cinéaste britannique, l'avait grandement inspiré pour Mommy.

À l'instar du film qui lui a valu les plus grands honneurs il y a huit ans, Jimmy's Hall fait écho à un événement ayant eu lieu en Irlande. Campé en 1932, le récit décrit les difficultés que rencontre le «militant» Jimmy Gralton après un exil de 10 ans en Amérique. Taxé de communisme, celui qui souhaite instaurer une boîte de danse dans son patelin est pourchassé par les autorités ecclésiastiques. Et forcé de nouveau à l'exil.

Ken Loach nous a souvent offert du grand cinéma. Mais pas cette fois. Jimmy's Hall, qui a pourtant reçu un accueil très chaleureux ici, est un film beaucoup trop appuyé, tant dans sa démonstration que sur le plan des dialogues. Tout est plaqué, scolaire. Et le «message» est souligné à trop gros traits. À ranger dans la frange inférieure de la filmographie du cinéaste, avec Bread and Roses.