Le triomphe du film The Artist, dont la carrière a commencé à Cannes pour se poursuivre jusqu'aux Oscars, a permis à son réalisateur, Michel Hazanavicius, de financer un drame de guerre ambitieux. Et très casse-gueule. The Search est le remake du film que Fred Zimmerman a lancé en 1948 (avec Montgomery Clift), mais le Berlin d'après-guerre cède la place ici à la Tchétchénie de la fin du XXe siècle.

Un film ambitieux, certes, mais tellement appuyé que certains spectateurs n'ont pas hésité à le huer copieusement au moment de la montée du générique.

Campé en 1999, à une époque où les troupes russes mettent les villages et les villes de la Tchétchénie à feu et à sang, le récit nous entraîne au coeur de l'horreur. Ayant été témoin de l'assassinat de ses parents, un petit villageois tchétchène, âgé de 9 ans, s'enfuit tout seul avec un flot de réfugiés. Apparemment muet, le garçon est d'abord emmené chez Helen (Annette Bening), une responsable de l'ONU, et rencontrera plus tard Carole (Bérénice Bejo), une chargée de mission pour l'Union européenne. Cette dernière tentera progressivement de tisser des liens avec lui.

Parallèlement au destin du petit Tchétchène, le film relate le parcours de Kolia (Maxim Emelianov), un soldat russe âgé de 20 ans, et la formation à la Full Metal Jacket qu'on lui inflige pour le déshumaniser.

Si le propos est important, d'autant plus qu'il dénonce un conflit s'étant déroulé dans l'indifférence quasi totale, la manière, ici, fait défaut.

Hazanavicius ne ménage aucun moyen pour manipuler le spectateur. On fait jouer cette carte à fond à ce petit garçon (Abdul-Khalim Mamatsuiev), mignon tout plein. Aussi, la relation entre ce dernier et la chargée de mission, qui lui parle uniquement en français, semble pour le moins improbable. Sur le plan dramatique, le récit est extrêmement manichéen et n'évite pas non plus le piège du mélo.

Aussi, Hazanavicius aurait en principe dû savoir qu'une scène finale de retrouvailles dans une gare ou un aéroport relève du pur cliché. On est en tout cas très loin ici de La vie est belle...

Godarden 3D

Depuis 30 ans, plus personne (ou presque) ne va voir les films de Jean-Luc Godard en salle. Mais le vénéré cinéaste suisse reste un dieu sur le circuit des festivals. Forcément, certains disciples ont chaudement applaudi la dernière frasque de l'artiste provocateur, même en son absence.

Avec Adieu au langage, le père de la Nouvelle Vague, qui a réalisé de très grands films dans les années 60, offre une fois de plus un gros rien prétentieux, mais en 3D cette fois. Vrai que l'utilisation de cette technologie par un réalisateur qui «déconstruit» depuis tant d'années le cinéma à un point où ses oeuvres ne peuvent être comprises que de lui-même est intéressante.

Mais au-delà des cadres originaux, des distorsions sonores, des jeux de relief et des citations jetées en pâture au spectateur, il n'y a strictement rien à tirer de cet exercice dont la plus grande qualité est sa durée: 1 h 10.

En réalité Raïssa, sa grande soeur, échappera à la tuerie. Trouvant la maison vide, elle va partir à son tour sur les routes de l'exode pour retrouver ses frères.

De son côté, à des milliers de kilomètres de là, Kolia, jeune Russe de 20 ans, est enrôlé presque de force dans une armée qui va progressivement le déshumaniser.

Carole, jeune chargée de mission pour l'Union européenne, est convaincue que les idées peuvent l'emporter sur l'administration, et va adopter Hadji.

Hazanavicius dépeint des oppositions entre civils et militaires, hommes et femmes,  enfants et adultes afin de garder le prisme de l'humain.

Gros budget

Une de ses inspirations a été le long métrage de Fred Zimmermann The Search (Les anges marqués) de 1948, se déroulant dans une Allemagne vaincue et détruite.

«L'enfant, dans l'original, sortait des camps de concentration. J'ai rééquilibré en ajoutant une destinée inverse, la déshumanisation d'un soldat. Et très rapidement j'ai voulu travailler sur ces itinéraires croisés», a ajouté le cinéaste.

Sa caméra reste au plus près de personnages poignants comme celui du jeune garçon (Abdul-Khalim Mamatsuiev, tchétchéne, qui a fait littéralement craquer la Croisette). Ou celui du soldat Kolia (Maxim Emelianov), souffre-douleur de son unité avant de devenir un barbare.

À la façon d'un documentaire, elle embrasse aussi des paysages de désolation dans des dégradés de gris sombre. Les longs plans d'exode sous les bombes soulignent encore la violence infligée aux populations.

«Souvent dans les films de guerre, les Occidentaux sont ceux qui viennent sauver les autres, ont une histoire propre. Ici ce qui est mis en avant dans le scénario ce sont les civils», a souligné Bérénice Bejo (Carole), prix d'interprétation à Cannes l'an dernier, qui partage l'affiche avec Annette Bening dans la peau d'une responsable de la Croix-Rouge.

Hazanavicius parle d'un «film politique» mais le juge «pas si partisan que ça». Un avis qui n'a pas été partagé par des journalistes, probablement russes, qui ont copieusement sifflé à l'issue de la projection de presse pendant que d'autres applaudissaient.

Michel Hazanavicius et Thomas Langmann, les deux coproducteurs du film, ont évoqué un tournage «difficile» en Géorgie, lié à l'ampleur du projet, la logistique, les nombreux acteurs non professionnels dont les enfants, et cinq langues sur le plateau (français, anglais, tchétchène, russe et géorgien).

Grâce au succès de The Artist, oscarisé en 2012, les deux hommes ont pu néanmoins mener à bien ce film ambitieux au budget de 22 millions d'euros.