À Cannes, il n'y a pas que des stars mondiales. Jeudi, Angélique, Ibrahim, Layla ou Karidja, tous des acteurs non professionnels, ont crevé littéralement les écrans cannois, un choix fait par les cinéastes pour plus de cohérence et de justesse avec le sujet.

Pour incarner l'héroïne de Party Girl, qui ouvrait jeudi soir la section Un certain regard du Festival, les trois jeunes réalisateurs Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis n'ont pas imaginé un seul instant choisir une actrice professionnelle, fusse-t-elle éventuellement Catherine Deneuve.

«Il était hors de question que quiconque interprète le personnage d'Angélique car on se serait trahis», résume Marie Amachoukeli à l'AFP.

«Les autres ne peuvent pas jouer ce rôle, ils ne savent pas mon histoire!», renchérit la bouillonnante sexagénaire Angélique Litzenburger, mère de Samuel Theis, un des réalisateurs, qui signent un premier film détonant.

Et quelle histoire! Angélique a passé 35 ans de sa vie comme entraineuse dans les bars de nuit de villes sans âme entre la France et la Belgique. Un projet de mariage avec un habitué la fait se rapprocher de ses enfants, qui jouent également leur propre rôle à l'écran.

Au delà de cette histoire singulière, il était tout aussi important que «la classe sociale racontée dans le film soit représentée par les gens qui la font et non pas par des acteurs», raconte Samuel Theis.

Recourir à des amateurs n'est pas nouveau dans le cinéma, mais il prend parfois des chemins encore plus émouvants.

Le Mauritanien Abderrahmane Sissako a lui pris certains de ses acteurs dans le camp de réfugiés Mbera pour Maliens en Mauritanie.

Parmi eux la petite Toya et le petit berger Issan, deux des héros de Timbuktu, qui a ouvert la compétition cannoise.

Le pêcheur du film est un vrai pêcheur, parce que je n'arrivais pas à trouver un acteur adéquat, dit le cinéaste.

«La magie du cinéma, c'est vraiment dans la possibilité que la vie et le cinéma t'offrent si tu fais confiance, si tu n'es pas dans des schémas établis, avec le casting vérifié trois mois à l'avance», a dit Sissako dont le film est un plaidoyer poignant contre l'islam intransigeant au Mali.

La distribution de Bande de filles de Céline Sciamma, présenté en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, s'est fait lui dans la rue ou des centres commerciaux à Paris et en banlieue.

«L'âge du rôle»

«Ce n'était pas délibéré mais je voulais qu'elles soient jeunes, qu'elles aient l'âge du rôle. Cette exigence de jeunesse a fait qu'on avait plus de chance de tomber sur des débutantes», raconte à l'AFP la cinéaste.

L'héroïne Marieme (Karidja Touré) a 16 ans et vit sous la coupe d'un grand frère qui la terrorise, de codes lui interdisant d'aimer un jeune garçon et  d'une école qui ne l'écoute pas. Sa rencontre avec une bande de filles va changer sa vie.

Au delà de l'énergie que dégagent ces filles, la cinéaste de Tomboy parle de «la construction de l'identité féminine avec la pression, les assignations que vivent ces jeunes filles».

Outre un «parti pris esthétique», Céline Sciamma a saisi dit-elle une «opportunité de représenter des filles noires au cinéma en France» alors qu'elles en sont absentes. «Donc c'est un geste politique», dit-elle.

Mission réussie: Karidja Touré est lumineuse en ado mal dans sa peau qui va trouver dans la bande composée d'Assa Sylla, puissante, Lindsay Karamoh et Marietou Touré dont l'énergie est communicative.

D'autres films présentés sur la Croisette viendront grossir les rangs des «non professionnels» comme lundi, le film grec Xenia, sur deux jeunes frères albanais à la recherche de leur père grec pour obtenir la nationalité.

En 2013, au festival de Berlin, un acteur non professionnel originaire de Bosnie-Herzégovine et appartenant à la minorité rom, avait raflé le prix d'interprétation masculine dans un film qui racontait son histoire.