Quand on évoque le parcours cannois de Jane Campion, on mentionne habituellement la Palme d'or qui lui a été remise en 1993. Cette année-là, le plus beau laurier a été attribué à The Piano, film phare des années 90, mais aussi à Adieu ma concubine, le drame chinois de Chen Kaige. Or, la réalisatrice néo-zélandaise avait déjà été primée sur la Croisette sept années plus tôt. En 1986, elle a en effet obtenu la Palme d'or du court métrage grâce à Peel. De fait, celle que le président Gilles Jacob surnomme la «Lady Palme d'or» peut se vanter de faire partie du club très sélect des «doubles palmés».

À ce jour, Jane Campion reste la seule réalisatrice à avoir obtenu la Palme d'or du long métrage. Il aura en outre fallu attendre la 67e édition du plus prestigieux festival de cinéma du monde avant qu'une réalisatrice ne préside le jury.

Cela fait beaucoup de premières pour une seule personne. Et le fait ne passe certes pas inaperçu, d'autant que la direction du Festival a été prise à partie au cours des dernières années à propos de la faible représentation des femmes cinéastes dans la sélection.

Quand Thierry Frémaux, le délégué général, l'a sollicitée pour le poste de présidente du jury, Jane Campion aurait d'emblée demandé à son interlocuteur si cette proposition relevait d'un calcul. Évidemment, non.

Un jury «paritaire»

Pour la traditionnelle conférence de presse «d'avant-match», c'est-à-dire avant la présentation du premier film de la compétition, Jane Campion était entourée des huit autres membres du jury: les actrices Carole Bouquet, Leila Hatami et Do-Yeon Jeon; la réalisatrice Sofia Coppola; les acteurs Willem Dafoe et Gael García Bernal; les réalisateurs Nicolas Winding Refn et Jia Zhangke.

«C'est toute une vie d'amour du cinéma qui a fait de moi ce que je suis, a déclaré la présidente du jury. En tant que réalisatrice, les prix posent toujours problème, cela dit. Parfois, des films qu'on adore ne reçoivent rien du tout, et d'autres films sont primés. Cela crée des catégories de films qui ne sont pas justifiées, mais en même temps, c'est une façon d'attirer l'attention sur le cinéma. Donc c'est une bonne chose.»

Évidemment questionnée sur la place qu'occupent les femmes dans le monde du cinéma, Jane Campion reconnaît le sexisme «héréditaire» dont ce milieu est affligé.

«Thierry m'expliquait justement que seulement 7% des 1800 films soumis au comité de sélection étaient réalisés par des femmes, a-t-elle lancé. Il semble que ce ne soit pas vraiment démocratique, tout ça. Les femmes ne sont pas assez représentées dans cette profession. Lorsqu'elles arrivent sur le devant de la scène, elles apportent pourtant une autre vision. Il est clair qu'année après année, les femmes ne sont pas représentées de façon équitable.»

Sur les 18 longs métrages que le jury aura à départager, deux proviennent de l'imagination de réalisatrices: Naomi Kawase (Still Water) et Alice Rohrwacher (Les merveilles).

«À cette étape, il n'y a pas de plan précis, indique la présidente. Nous essaierons de défendre les films que nous aimons le plus objectivement possible. Tous les membres du jury partagent la même passion du cinéma. Dans ce genre de discussion, on ne peut rien prévoir. C'est ce qui rend l'exercice formidable.»

Des consignes

Jane Campion, qui a confié au journal Le Monde qu'elle aurait attribué l'an dernier la palme au film de Jim Jarmusch Only Lovers Left Alive, a donné quelques consignes précises à ses jurés. Elle leur a en outre donné la directive de ne pas lire les critiques. Les jurés, qui se rencontreront trois fois au cours du Festival, n'accorderont aucune interview non plus. Carole Bouquet souscrit sans réserve à la volonté de la présidente.

«Jane nous a demandé cela hier et je trouve que c'est une excellente idée. Du coup, ce sera un peu des vacances pour nous!»

L'acteur mexicain Gael García Bernal, qui s'adonne aussi à la réalisation, commence de son côté à se rendre compte du «sérieux» de la chose.

«Je préfère voir tout cela comme un jeu, mais à bien y penser, je me rends compte à quel point notre rôle est sérieux!»

Le palmarès du 67e Festival de Cannes sera annoncé le 24 mai.

Nicole Kidman : l'amour sans hésiter

Lors d'une conférence de presse tenue hier, Nicole Kidman, incontestablement la star du jour, a dû répondre à une question inévitable. À l'instar de Grace Kelly, qu'elle personnifie dans Grace de Monaco, Nicole Kidman serait-elle prête à quitter le cinéma par amour? Réponse? Oui. Sans aucune hésitation. «J'espérerais alors trouver autre chose à faire, a-t-elle dit. Je pense que l'amour est l'émotion la plus fondamentale. On ne pourrait exister sans cela. Lorsque j'ai obtenu mon Oscar, j'en étais certes très heureuse, mais à cette époque de ma vie, j'étais surtout en pleine solitude personnelle. J'étais au sommet de ma profession et au creux le plus profond de ma vie privée en même temps.» Rappelons qu'au moment où elle a obtenu une statuette dorée grâce à The Hours, l'actrice sortait de sa relation avec Tom Cruise. Elle avait alors dit à David Letterman qu'elle pouvait enfin porter des souliers à talons...

Émeute à prévoir

Il n'y aura qu'une seule projection d'Adieu au langage, le plus récent film de Jean-Luc Godard, le doyen de la compétition. Celle-ci aura lieu le 21 mai à 16 h au Théâtre Lumière. Dans une interview accordée à Nice-Matin, le délégué général Thierry Frémaux a expliqué que cette idée de la projection unique, destinée autant aux professionnels qu'aux journalistes, était tout à fait intentionnelle. «On s'attend à l'émeute, a-t-il déclaré. Mais c'est volontaire. On ne sait pas si Godard sera là, mais si c'est le cas, on veut que ce soit THE séance. Tout le monde ne pourra pas rentrer.» La cote de celui qui fut, avec François Truffaut, le chef de file de la Nouvelle Vague reste intacte sur le circuit des festivals. Ironie du sort, ses plus récents films sont souvent projetés devant des salles vides lorsqu'ils prennent l'affiche en programme régulier dans les salles. Only in Cannes, comme dirait l'autre...