Promu délégué général du Festival de Cannes il y a sept ans, Thierry Frémaux est l'homme le plus puissant du circuit des festivals de cinéma. Responsable de la sélection officielle, le délégué général de la plus importante manifestation cinématographique de la planète n'accepte annuellement dans son club sélect qu'une cinquantaine de longs métrages, dont une vingtaine sont retenus pour la compétition officielle.

Au moment de l'annonce de la sélection, le mois dernier, M. Frémaux a précisé ceci à propos de Mommy, le film de Xavier Dolan en lice pour la Palme d'or: «C'est un film extrêmement foisonnant, baroque, audacieux. Il va être adoré autant qu'il va exaspérer. C'est ce que [Xavier] espère tant il veut que sa proposition de cinéma soit large et suscite le plus de réactions possible.»

À quelques heures de l'ouverture en grandes pompes du 67e Festival de Cannes, le délégué général a répondu par courriel à quelques questions soumises par La Presse.

À la lueur de ses propos, on croit comprendre qu'il n'aurait pas été possible de sélectionner à la fois Mommy et Le règne de la beauté. C'est dire que, pour la première fois depuis Jésus de Montréal en 1989 (Love and Human Remains mis à part en 1993), Denys Arcand lance un film sans passer par la sélection officielle à Cannes. En lisant entre les lignes, il y a lieu de croire qu'il serait bien difficile pour Thierry Frémaux de retenir deux longs métrages québécois pour la compétition. D'autant qu'il y a déjà aussi deux films canadiens cette année: The Captive (Atom Egoyan) et Maps to the Stars (David Cronenberg).

Qu'est-ce qui, selon vous, fait en sorte que Xavier Dolan est mûr pour la compétition officielle cette année?



Vous verrez le film. Il nous a convaincus, par sa forme, sa force, son ampleur, son ambition, son audace aussi, qu'il serait celui avec lequel Xavier pouvait affronter la compétition. J'ai toujours dit qu'il était un jeune auteur tellement prometteur... et que nous avions le temps. Et si on l'avait mis plus tôt, il serait entré dans la catégorie des «toujours les mêmes» dont les journalistes parlent sans arrêt. Là, Xavier est tout neuf. Et il va surprendre.

Quand vous visionnez un film que vous considérez comme digne d'une sélection, êtes-vous en mesure d'évaluer très tôt dans le processus quelle sera pour lui la section la plus appropriée?

Oui, nous le savons quasiment d'emblée. Et ça n'a rien à voir avec le jugement qu'on porte sur le film. L'essentiel est qu'il soit à sa meilleure place. Parfois, ça n'est pas en compétition. Qui se souvient que City of God [Fernando Meirelles] était une séance de minuit? Pourtant, il a été nommé plusieurs fois aux Oscars, tant que chacun a cru qu'à Cannes, il était en compétition. Ce qui compte pour moi, c'est que l'accueil soit bon! Mais il nous arrive de changer d'avis. Parfois, un film laisse en vous un souvenir qui monte avec le temps, et ça permet d'encore mieux le programmer.

On ne compte cette année que 18 longs métrages dans la compétition officielle. Outre l'annonce du palmarès devancée d'une journée à cause des élections européennes, y a-t-il une autre raison qui explique un nombre aussi restreint de films en lice pour la Palme d'or?

Comme nous avons une journée de moins, ça tombe bien. Mais il faut prendre la sélection officielle dans son ensemble, et plusieurs films de la section Un certain regard pourraient postuler pour la compétition aussi. Bref, même si nous avons eu des années avec 20 ou 23 films en compétition, ce chiffre de 18 n'a pas vraiment de signification.

Au Québec, on surveillait évidemment Xavier Dolan, mais aussi Denys Arcand. À part Love and Human Remains (1993), tous les longs métrages du cinéaste ont été retenus dans la sélection officielle du festival depuis Jésus de Montréal, en 1989. Le règne de la beauté n'a pas été sélectionné cette année. Auriez-vous un commentaire à formuler à ce propos?

Denys m'a montré une première mouture du film, en plein montage, et j'ai trouvé ça très beau. Et pour moi, Français, je lui ai trouvé des accents «québécois» qui ne sont pas ceux auxquels nous sommes habitués. Ça sera une oeuvre très délicate, très personnelle. Mais je devais arrêter la sélection et il était temps de donner sa chance à Xavier Dolan. Dans un courriel qu'ils m'ont fait parvenir, Denys Arcand et Denise Robert ont salué cette décision avec beaucoup de panache.