Pour la première fois depuis 11 ans, un long métrage québécois, Mommy de Xavier Dolan, sera en lice pour la prestigieuse Palme d'or. Stéphane Lafleur (Tu dors Nicole) et deux réalisateurs de courts métrages porteront également nos couleurs nationales sur la Croisette. David Cronenberg et Atom Egoyan y seront aussi. Un dossier de Marc-André Lussier et Mario Cloutier.

XAVIER DOLAN VU PAR ANNE DORVAL

Le 22 mai, Anne Dorval montera les célèbres marches du Théâtre Lumière au bras de Xavier Dolan à l'occasion de la projection officielle de Mommy, en lice pour la Palme d'or. Stressant, dites-vous?

Il y a une dizaine d'années, lors d'une séance de doublage, Anne Dorval a vu entrer dans le studio un adolescent admiratif de son travail dans Le coeur a ses raisons. Le jeune homme avait un scénario à lui faire lire. «Je ne le connaissais pas du tout, rappelle l'actrice. Il m'appelait «madame». Il était super mignon, son discours était hyper éloquent et je me suis dit: «Mais c'est qui, ça?» J'ai lu son scénario et je l'ai rappelé en lui disant que c'était intéressant, mais qu'il y avait des choses à retravailler. Il m'a répondu alors que, de toute façon, le scénario qu'il m'avait fait lire ne l'intéressait plus et qu'il comptait plutôt écrire un autre scénario, à partir d'une nouvelle écrite au secondaire. Quelques années plus tard, on s'est retrouvés à la Quinzaine des réalisateurs avec le film tiré de ce scénario-là: J'ai tué ma mère

Aujourd'hui, Anne Dorval est l'une des têtes d'affiche de Mommy, un film dans lequel elle interprète le rôle d'une veuve célibataire qui hérite de la garde de son fils (Antoine-Olivier Pilon), adolescent profondément turbulent.

«Xavier a beaucoup évolué depuis cinq ans, fait remarquer l'actrice. Il a évidemment gagné en assurance. Il veut toujours apprendre. Techniquement, son vocabulaire cinématographique a changé aussi. C'est fascinant de le voir aller. Xavier n'a pas fait d'école de cinéma. C'est un autodidacte qui a tout appris grâce à sa très grande curiosité. Il sait ce qu'il veut. Il est entêté, mais il ne reste pas campé sur ses positions. Il sollicite l'avis de gens en qui il a confiance et on peut le faire changer d'avis avec de bons arguments.»

Six mois d'avis

Anne Dorval n'était pas pressentie pour Mommy au départ.

«En fait, Xavier voulait d'abord faire le film en anglais avec des actrices anglophones, explique-t-elle. L'an dernier, il a finalement pris la décision de réécrire le scénario, de tourner le film ici et en français. «Pis c'est toi qui vas jouer Mommy!», m'a-t-il dit. À six mois d'avis! Comme pour à peu près tous ses projets, tout s'est fait très vite, dans l'urgence.»

Après J'ai tué ma mère et Les amours imaginaires, Mommy est le troisième film que Xavier Dolan et Anne Dorval tournent ensemble. Que retient-elle de cette expérience cette fois?

«Je retiens surtout la confiance qu'il m'accorde et l'amour qu'il me porte, affirme-t-elle. Notre amitié s'est solidifiée aussi. Xavier m'entraîne cette fois dans des zones où je ne suis jamais allée. Il me connaît tellement, à l'endroit, à l'envers, qu'il a écrit quelque chose de très loin de ce que j'ai fait. Tellement qu'à un moment donné, j'ai eu peur qu'il m'aime trop. Comme nous sommes très proches, la dynamique n'est forcément pas la même que sur un plateau où je ne connaîtrais pas le réalisateur. Mais Xavier sait très bien ce qu'il fait.»

Le grand jeu

Cinq ans après que J'ai tué ma mère eut créé l'événement à la Quinzaine des réalisateurs, Anne Dorval s'apprête maintenant à jouer le grand jeu cannois.

«C'est incroyable, ce qui s'est passé il y a cinq ans, rappelle-t-elle. Mais comme tout cela se passait à la Quinzaine, ça restait quand même plus informel. Là, c'est la compétition. Donc, nous aurons droit à la séance photo, la conférence de presse, la montée des marches - avec la hantise de trébucher - et la projection officielle. J'aime autant ne pas y penser! Au moins, la question vestimentaire est réglée, grâce à ma styliste Julie Pesant et aux designers d'UNTTLD. Je suis très bien entourée. Je tiens à porter là-bas des vêtements créés ici.

«Et puis, ajoute-t-elle, comme je n'en ai pas encore eu l'occasion, il faut absolument que je trouve un moyen de voir le film avant la projection officielle. S'il faut que je découvre le film seulement à la projection officielle sur le grand écran du Théâtre Lumière, c'est sûr que je vais vomir sur le spectateur assis en avant!» - Marc-André Lussier

RÉMI SAINT-MICHEL, LE PETIT FRÈRE DU CINÉMA QUÉBÉCOIS

Rémi Saint-Michel est un peu beaucoup le petit frère du cinéma québécois. Son deuxième court métrage, Le chevreuil, a remporté quelques prix et le plus récent, Petit frère, se retrouve en compétition à la Semaine de la critique de Cannes.

Un grand frère invisible ou une bonne étoile quelconque semble veiller sur lui.

«Je ne sais absolument pas comment se déroule le processus de sélection. C'est la boîte Travelling qui s'en est occupé, mais je suis très surpris et très heureux», avoue-t-il en entrevue.

La 53e Semaine de la critique de Cannes a reçu plus de 1700 courts métrages cette année pour n'en retenir que 10 en compétition.

«On se disait pourquoi pas sans trop y croire au début, mais là, on se pince», poursuit le cinéaste originaire de Québec.

Après avoir touché au théâtre comme acteur et metteur en scène, Rémi Saint-Michel a étudié le cinéma à l'UQAM.

Son court métrage Le chevreuil a gagné des prix à Montréal, mais aussi en France et en Inde. Un autre prix de l'INIS lui a permis de tourner Petit frère.

Ce court métrage raconte une journée dans la vie d'un jeune adolescent turbulent. En quelques minutes, on apprend à le connaître et on le voit s'attrister du départ de son tuteur, ou grand frère, pour quelques mois.

«Nous avons tourné en noir et blanc parce la texture allait bien au scénario de Éric K. Boulianne. Je pensais à Jim Jarmusch et Kevin Smith en le faisant», note le cinéaste

Robert Morin est un autre de ses modèles cinématographiques et le jeune homme planche sur un scénario de long métrage pour lequel il a reçu une aide du programme Jeunes créateurs de la SODEC.

«En gros, dévoile-t-il, je peux dire que c'est le parcours d'un voleur de banques. Ce n'est pas un traitement à l'américaine, mais un sujet à hauteur d'homme.» - Mario Cloutier

Photo: André Pichette, La Presse

Rémi Saint-Michel

STÉPHANE LAFLEUR VU PAR MARC-ANDRÉ GRONDIN

Pour la première fois de sa carrière, Marc-André Grondin s'envole vers Cannes pour accompagner la présentation à la Quinzaine des réalisateurs de Tu dors Nicole, nouveau film de Stéphane Lafleur.

Comment s'est déroulée la première rencontre avec Stéphane Lafleur?

Quand j'ai rencontré Stéphane, j'avais déjà lu le scénario de Tu dors Nicole. J'étais déjà intéressé, car je suis très admiratif de son cinéma. J'avais adoré Continental, un film sans fusil et En terrains connus. Donc, c'est moi, en fait, qui ai essayé de me vendre! Nous avons jasé de tout et de rien. Nous avons appris à nous connaître, car nous ne nous étions jamais croisés.

Dans le travail, quel est le signe le plus distinctif de Lafleur en tant que réalisateur?

Son travail est à l'image de ce qu'il est. Stéphane est un homme extrêmement discret. On s'est bien compris tout de suite. Un peu comme avec Denis Côté sur le plateau de Vic + Flo. Quand on connaît bien le cinéma d'un réalisateur, on sait ce qu'il veut comme jeu et comment moduler le ton.

Qu'est-ce qui vous plaît particulièrement dans le cinéma de Lafleur?

Le côté roman graphique. Et aussi cette façon de s'intéresser à des gens à qui on ne prête pas attention habituellement. Stéphane sait comment extraire la poésie de la vie normale. Ça me parle beaucoup. Sa façon de raconter est très sensible, très poétique. Il n'y a aucun mépris dans son approche, même si, parfois, ses personnages sont un peu grotesques. Un peu comme Todd Solondz avec Happiness, mais en moins sombre, en moins déprimant...

Étonnamment, ce sera votre première présence à Cannes. À quoi vous attendez-vous?

Je n'ai pas le choix cette fois-ci! Depuis des années, on me dit d'y aller pour mousser des projets. Je ne voulais pas y aller sans avoir un film à présenter. La Quinzaine, c'est quand même un peu plus smooth. Et comme je suis convaincu que le film obtiendra un bel accueil, j'y vais très relax. Quand j'ai vu le film, j'ai compris pourquoi il avait été retenu bien à l'avance. Cela dit, ce n'est pas trop mon genre d'essayer d'aller faire le party avec Bruce Willis sur un yacht! - Marc-André Lussier

Photo: Bernard Brault, La Presse

Le troisième long métrage de Stéphane Lafleur est fait du même humour fin, des mêmes images oniriques que ses films précédents Continental, un film sans fusil et En terrains connus.

MARIE-JOSÉE SAINT-PIERRE: JUTRA PAR JUTRA

Le film Jutra de la cinéaste montréalaise Marie-Josée Saint-Pierre sera présenté lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Il sera en lice pour le Prix illy du court métrage.

À 35 ans, Marie-Josée Saint-Pierre a déjà neuf courts métrages d'animation à son actif, comme réalisatrice ou productrice, et un dixième en préparation.

Quand on sait qu'un film d'animation peut prendre jusqu'à deux ans de travail, ça voudrait dire que la jeune mère aurait amorcé sa carrière à l'âge de 15 ans... Cinéaste indépendante, la jeune femme travaille vite et bien. Jutra est son deuxième film cette année après Flocons, un hommage à McLaren pour son centenaire.

Jutra porte sa signature, autant sur le plan visuel que dans le contenu. Il s'agit d'un documentaire animé astucieux qui présente une entrevue de Claude Jutra menée par Jutra lui-même. Cette entrevue n'a jamais existé ailleurs que dans l'esprit de la cinéaste, mais lui permet d'explorer de façon très originale l'oeuvre et la vie de l'auteur de Mon oncle Antoine.

«Le cinéma documentaire n'est pas une reproduction de la réalité, dit-elle en entrevue. Pour faire ce que je voulais, de plus, il fallait passer par l'animation. Ça change tout.»

Jutra n'évite aucune question difficile comme l'exil forcé du cinéaste québécois à Toronto à une époque où il peinait à trouver du financement ici. Et son suicide en 1986.

«J'ai pu travailler en toute liberté avec ce film, raconte Saint-Pierre. Je voulais comprendre ce qui est arrivé pour qu'il en arrive là avec sa vie. Son frère Michel m'a aidée à le faire. Claude Jutra, comme étudiant en médecine, savait ce qui l'attendait avec la maladie d'Alzheimer et il ne voulait pas vivre ça.»

Prix ou non à Cannes, la cinéaste, qui a un Jutra en poche pour Les négatifs de McLaren, travaille déjà à sa nouvelle production, Oscar, consacré au grand pianiste de jazz montréalais Oscar Peterson.

«C'est un film qui sera beaucoup plus éclaté, dit-elle. Ce qui m'intéresse dans son histoire, c'est le conflit entre la vie personnelle et la célébrité.»

Et un long métrage, Mme Saint-Pierre, ça vous intéresse aussi?

«Éventuellement, j'aimerais ça, mais je ne le ferai pas dans n'importe quelles conditions», conclut-elle. - Mario Cloutier

Photo: Alain Roberge, La Presse

Marie-Josée Saint-Pierre

CANNES-ADA!

Dans les médias hors Québec, on fait grand cas de la présence exceptionnelle de longs métrages canadiens dans la sélection cannoise. Au point où la formule «Cannes-ada» s'est vite répandue. Les deux figures emblématiques du cinéma canadien-anglais, David Cronenberg et Atom Egoyan, accompagneront en effet Xavier Dolan dans la chasse à la Palme d'or. Trois longs métrages à saveur d'érable en compétition officielle à Cannes, c'est du jamais vu.

Le vétéran Cronenberg proposera Maps of the Stars, un regard qu'on présume caustique sur la culture hollywoodienne. Les têtes d'affiche sont Robert Pattinson, Julianne Moore et Mia Wasikowska. Atom Egoyan lancera de son côté The Captive, un thriller mettant en vedette Ryan Reynolds, Scott Speedman et Rosario Dawson. À sa 67e édition, le Festival de Cannes s'apprêterait-il à décerner son plus beau laurier à un film canadien pour la toute première fois? - Marc-André Lussier