Depuis Les invasions barbares en 2003, aucun long métrage québécois n'avait été retenu dans la compétition officielle du plus grand festival de cinéma du monde. Xavier Dolan reprend aujourd'hui le témoin des mains de Denys Arcand.

Quand il a reçu l'appel du délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, il y a deux ou trois jours, Xavier Dolan est tombé à genoux.

« J'étais avec un ami et il s'est inquiété, a raconté le cinéaste hier lors d'une conférence de presse tenue à la suite de l'annonce officielle de la sélection de Mommy. Il croyait que je venais d'essuyer un refus. Quand on attend le verdict, les jours qui précèdent deviennent insoutenables. Et quand ça arrive, c'est un moment d'émotion très important. »

Jeudi, la planète cinéma a eu la confirmation de la nouvelle, alors que Thierry Frémaux a enfin dévoilé, lors d'une conférence de presse à Paris, les titres de sa sélection dans un ordre alphabétique déterminé par les noms des cinéastes.

L'annonce de la sélection de Mommy de Xavier Dolan est venue après celle confirmant la présence de Deux nuits, un jour, le nouveau film des frères Dardenne. En donnant quelques détails sur Mommy, qu'il a retenu pour sa compétition officielle, le délégué a évoqué un film « typique de l'effervescence du cinéma de Xavier Dolan ».

Mettant en vedette Antoine Olivier Pilon, Anne Dorval et Suzanne Clément, Mommy a pour cadre un « Canada fictif » dont les citoyens peuvent, en vertu d'une loi, abandonner à l'État leurs enfants trop « difficiles ».

« Ce film n'a rien à voir avec J'ai tué ma mère, tient à préciser Xavier Dolan. En fait, j'y ai mis tout ce que j'ai appris en tournant les quatre films précédents. C'est un film libre, fou parfois, mais qui se concentre sur les êtres. Ils sont toujours au centre de l'écran. C'est dur, cru, un peu impétueux, violent par moments, mais Mommy est aussi un film porteur d'espoir et de lumière. »

UNE RÉUSSITE RARE

La sélection du film de Xavier Dolan dans la catégorie reine du prestigieux festival de cinéma constitue une réussite rare. Aucun film québécois n'avait eu droit au même honneur depuis Les invasions barbares - un film qui, en 2003, avait valu le Prix du scénario à Denys Arcand et le Prix d'interprétation féminine à Marie-Josée Croze. Ironie du sort, le comité de sélection n'a pas retenu Le règne de la beauté, dernière offrande du cinéaste vétéran.

En revanche, les nouveaux films de David Cronenberg (Maps of the Stars) et Atom Egoyan (The Captive) feront aussi partie de la compétition. Pour la première fois de l'histoire du Festival de Cannes, trois films portant la bannière canadienne se retrouvent en lice pour les plus prestigieux lauriers du milieu cinématographique.

« C'est très gros à mes yeux, a déclaré Xavier Dolan. Je me retrouve en compagnie d'Atom Egoyan, un être attachant, extrêmement intelligent, dont j'admire les films. Je n'ai jamais vraiment eu l'occasion d'échanger avec M. Cronenberg, dont la carrière est immense. En fait, quand on regarde la liste des films retenus dans la compétition et les noms des cinéastes qui les ont réalisés, on ne peut pas vraiment commencer à penser aux prix. La compétition est impressionnante et les cinéastes sont immenses! »

À cet égard, Dolan se dit grandement impressionné par la présence de Ken Loach dans cette compétition. Le cinéaste britannique, déjà lauréat d'une Palme d'or grâce à The Wind That Shakes the Barley (Le vent se lève) en 2006, a annoncé que Jimmy's Hall serait son dernier film de fiction. Dolan affirme s'être inspiré d'un autre film de Loach, Sweet Sixteen, pour élaborer Mommy.

« J'ai vu ce film il y a peut-être deux ans, raconte-t-il. J'ai été soufflé, bouleversé. Un film tout simple, ancré dans la vraie vie, avec du vrai monde. À mon sens, il existe dans ce film un équilibre parfait. Si j'atteins le dixième de cette humanité dans Mommy, ce sera pour moi un véritable accomplissement. »

Il y a un mois, le cinéaste racontait être sur le bord de l'épuisement professionnel. Aujourd'hui, rien ne paraît plus de tout ça. Dolan compte quand même faire une pause pour se ressourcer après le tourbillon cannois.

« La vie est magnifique!, lance-t-il. Je ferai une pause après Cannes et je retournerai ensuite aux études. Le moment ne pourrait être plus parfait! »

DE GRANDS RETOURS

Les 15 autres films sélectionnés en compétition annoncent l'habituel mélange de vétérans et de signatures plus nouvelles. 

Parmi les vétérans, on remarque en outre le grand retour sur la Croisette de Jean-Luc Godard, libre filmeur de 83 ans, dont le nouvel essai a pour titre Adieu au langage. Chez les Européens, quelques pointures: Olivier Assayas avec Sils Maria, un film tourné en anglais avec Chloë Grace Moretz, Kristen Stewart et Juliette Binoche; Bertrand Bonello avec Saint Laurent, un autre film biographique sur Yves Saint Laurent (cette fois interprété par Gaspard Ulliel); les double palmés frères Dardenne (Rosetta, L'enfant) avec Deux jours, une nuit, un film dont la tête d'affiche est Marion Cotillard; Michel Hazanavicius, l'heureux réalisateur de The Artist, revient sur la Croisette avec The Search (toujours avec son égérie Bérénice Bejo); et le Britannique Mike Leigh, aussi un ancien lauréat (Secrets and Lies), proposera Mr. Turner, un film dans lequel Timothy Spall prête ses traits à l'artiste J.M.W. Turner.

Les Américains sont par ailleurs moins présents qu'à l'accoutumée dans cette compétition avec seulement deux entrées: The Homesman, nouvelle réalisation de Tommy Lee Jones, et Foxcatcher, film très attendu de Bennett Miller (Moneyball) mettant en vedette Channing Tatum et Mark Ruffalo.

Avec une durée de 3 h 16, le plus long film de la sélection est Winter Sleep, une réalisation du très estimé cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan (Il était une fois en Anatolie).

Le 67e Festival de Cannes s'ouvrira le 14 mai avec Grace de Monaco, un film d'Olivier Dahan dans lequel Nicole Kidman tient le rôle de la fameuse princesse. La clôture aura lieu le 25 mai avec la présentation d'un film dont on annoncera le titre bientôt.