À Cannes, Ethan et Joel Coen sont des princes. La Croisette est leur royaume.

Depuis leur baptême festivalier en 1991, l'année où Barton Fink a obtenu trois prix (parmi lesquels la Palme d'or !), les célèbres frangins ont été invités à plusieurs reprises, glanant au fil des ans quelques autres lauriers. Fargo a obtenu le prix de la mise en scène en 1996; The Barber leur a valu la même distinction cinq ans plus tard. Hudsucker Proxy, O Brother, Where Art Thou ?, The Ladykillers et No Country for Old Men ont tous été lancés à Cannes. Inside Llewyn Davis, présenté dimanche, est leur huitième entrée en compétition.

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Si l'on se fie à la chaleur de l'accueil, voilà sans doute le film qu'attendaient les festivaliers pour enfin exprimer un peu d'enthousiasme. Inside Llewyn Davis est un film du meilleur cru, dans lequel on retrouve cet humour décalé dont les Coen ont le secret. En campant leur intrigue dans le monde de la musique folk de la fin des années 50 et du tout début des années 60 (période antérieure à Bob Dylan), ils rendent aussi hommage - à leur façon bien sûr - à un  genre musical appelé à influencer grandement la musique populaire des décennies subséquentes.

Même si ce film est une histoire inventée, les Coen ont puisé leur inspiration dans un livre de souvenirs écrit par le musicien folk Dave Van Ronk. Le récit, étalé sur une durée d'une semaine, décrit un moment charnière dans la vie de Llewyn Davis (Oscar Isaac, une révélation). Désirant conserver son intégrité artistique à tout prix, le chanteur survit en acceptant de petits boulots. Il se colle aussi sur quiconque accepte de l'héberger. Son partenaire musical, avec qui il formait un duo, s'étant suicidé, Llewyn doit maintenant tenter de percer en tant qu'artiste solo.

Une belle respiration

Particularité du film : on voit les chansons jouées et chantées en entier. Ce parti-pris donne à l'ensemble une très belle respiration. D'ailleurs, il est à prévoir que la bande sonore, produite par l'incontournable T-Bone Burnett, fera des malheurs dans quelques mois. Fidèles à leurs habitudes, les Coen soignent aussi beaucoup leurs personnages secondaires, même si certains d'entre eux, plus anonymes (comme l'irrésistible madame la secrétaire), ne font que passer. John Goodman (hilarant) et F. Murray Abraham ont des participations marquantes. Carey Mulligan et Justin Timberlake, qui incarnent deux des chanteurs d'un trio à la Peter, Paul and Mary, tirent aussi bien leur épingle du jeu.

«Nous avons construit le scénario autour d'une vision que Joel a eue au départ, a expliqué Ethan Coen lors d'une conférence de presse. Il a imaginé un chanteur folk passé à tabac dans une ruelle à l'arrière d'une boîte à chansons. Nous nous sommes demandé pourquoi quelqu'un voudrait l'attaquer de la sorte. Cela nous a pris quelques années à trouver une façon de développer cette intrigue. Le déclic s'est fait le jour où nous avons pensé intégrer un chat dans cette histoire !»

Vrai que l'intrigue est plutôt mince. En revanche, Inside Llewyn Davis est un film très riche dans l'évocation d'une époque, d'un état d'esprit, d'un feeling. D'autant que les chansons, à travers lesquelles Llewyn se révèle bien davantage, sont partie prenante de la trame narrative.

S'approprier un rôle

Oscar Isaac, vu jusqu'ici dans des rôles de soutien (Robin Hood, W.E., Drive), risque fort de figurer parmi les prétendants les plus sérieux pour le prix d'interprétation. L'acteur, qui est aussi chanteur, a confié ne pas avoir beaucoup discuté du personnage avec les cinéastes, mais il a su d'instinct s'approprier le rôle.

«Ce personnage n'est jamais au bon endroit au bon moment. Il a aussi un comportement un peu destructeur. Plus authentique que carriériste, il était partagé entre succès et échec.»

«Quand on écrit à propos d'un personnage qui se retrouve dans chaque scène, ajoute Ethan Coen, il faut que l'acteur soit capable de jouer, de se comporter comme un musicien et de tenir le coup tout au long d'une chanson. On ne s'en sortait pas. Jusqu'à ce qu'on rencontre Oscar !»

De son côté, Justin Timberlake a pris grand plaisir à se glisser dans la peau d'un chanteur dont le style musical n'a rien à voir avec celui qui a fait de lui une vedette populaire.

«Mais j'ai quand même grandi au Tennessee, a-t-il tenu à préciser. C'est là qu'est le berceau du bluegrass, du rock and roll et du country. Ma première leçon de guitare m'a été donnée par mon grand-père. Il m'a appris la technique du finger picking. On rencontre beaucoup de gens qui ont du talent et que personne n'écoute. La carrière d'un artiste est parfois due au hasard.»

Métropole Films détient les droits de distribution pour le territoire québécois. Inside Llewyn Davis prendra l'affiche le 20 décembre 2013 à Montréal, puis partout ailleurs au Québec le 10 janvier 2014.