Quand Xavier Dolan est apparu sur le radar avec ses 20 ans et son premier film, on a cru au phénomène, au petit génie et à l'exception qui confirme la règle. Chloé Robichaud, qui a eu 25 ans en janvier et qui présentera mardi Sarah préfère la course, son premier long métrage, au Festival de Cannes dans la section Un certain regard, vient de confirmer qu'il y a désormais deux exceptions. Deux exceptions de la même génération.

J'ai rencontré Chloé Robichaud à quelques jours de son départ pour Cannes. Elle est arrivée presque en catimini dans le petit café du Plateau, près d'où elle vit. Pull noir sur pantalon noir, sac à dos et grosses lunettes rondes qu'elle ne porte pas par coquetterie, mais bien parce qu'elle est myope comme une taupe.

Contrairement au flamboyant et opiniâtre Xavier Dolan, Chloé est réservée, un brin timide et ne se livre pas facilement. Pourtant, au bout de 10 minutes d'entretien, le portrait est clair: celui d'une «bolée», d'une première de classe, organisatrice-née, impliquée dans tout, mais surtout une fille ambitieuse pour qui l'ambition est un moteur et une raison d'être, jamais un défaut ou un péché.

«L'ambition, c'est ce qui me fait vivre, dit-elle. C'est aussi le cas du personnage de Sarah dans mon film. Même si Sarah, ce n'est pas moi, nous partageons cette ambition d'atteindre un objectif précis.»

Fille de publicitaires

Chloé est la première des deux enfants du publicitaire Marc Robichaud et de la comptable Jo Anne Labrecque. Les deux ont fondé l'agence Triomphe de Québec. Choisir un tel nom pour une agence, ça en dit long sur le milieu dans lequel Chloé a grandi. Pas surprenant que ses premiers pas ressemblent à une suite de petits et grands triomphes.

En 2005, à 17 ans, elle a été choisie au nom de son école pour recevoir la médaille du Gouverneur général pour son implication scolaire et ses bonnes notes. La même année, l'Assemblée nationale lui a également décerné une médaille pour les mêmes raisons.

À l'école, Chloé se mêlait de tout: théâtre, soccer, cinéma. Rien n'était trop beau pour cette fille qui cherchait par tous les moyens à se réaliser. Pourtant est venu un moment où il y avait trop d'activités et trop peu de temps. Il a fallu choisir, et Chloé a choisi le cinéma, sa passion.

Enfant, Chloé Robichaud voulait toujours aller au cinéma, mais pas pour les dessins animés. «Je n'aimais pas les films d'animation. Je voulais voir des films avec des humains.»

À 12 ans, elle vit son premier choc cinématographique. Le film s'intitule The Hours. Stephen Daldry y raconte le destin de trois femmes, dont l'écrivaine Virginia Woolf, à trois époques différentes.

«Ce film m'a complètement bouleversée par sa composition, sa structure, sa musique et aussi parce qu'il m'a fait découvrir qu'on pouvait faire du cinéma autrement.»

Lost in Translation de Sofia Coppola aura le même effet de révélation et d'entraînement quelques années plus tard. Le fait que The Bling Ring, le dernier film de Coppola, soit présenté dans la même section que le sien la laisse à la fois émue et pantoise. On la comprend. En 2003, à la sortie de Lost in Translation, Chloé n'avait que 15 ans et toute l'admiration du monde pour cette jeune Coppola qui venait de surprendre la planète cinéma. La voilà maintenant à ses côtés à Cannes. Tout un exploit.

Université Concordia et INIS

À 19 ans, Chloé a quitté le nid familial de Cap-Rouge pour un appart d'étudiant à Montréal. Direction: l'Université Concordia, en cinéma. Pendant trois ans, elle a réalisé un film par année, ce qui n'était pas le lot de tous les étudiants en cinéma. Chloé aurait pu se contenter d'un baccalauréat en cinéma. Mais la «bolée» a voulu en rajouter. Elle s'est donc inscrite à l'INIS. Pourquoi? «Pour me retrouver dans la vraie vie et avoir à négocier des budgets et des salaires avec des syndicats. Ça a l'air un peu bête, mais le cinéma est une grosse machine et il faut en connaître les rouages. Et aussi parce j'étais complètement obsédée par le cinéma. Je ne pensais qu'à ça, jour et nuit. Il y en avait d'autres aussi obsédés. Ce sont eux qui travaillent aujourd'hui. Je suis convaincue que ça prend cette obsession-là pour faire du cinéma.»

En sortant de l'INIS, Chloé s'est aussitôt lancée dans la réalisation de courts métrages, la plupart du temps en les finançant elle-même avec sa carte de crédit. Pour Sarah préfère la course, elle a obtenu un financement d'environ 800 000$ des institutions. Pourtant, elle a choisi de verser 50% de son salaire de réalisatrice dans la production.

Pour éviter de faire faillite et gagner sa vie, Chloé a aussi réalisé des pubs, notamment pour l'épicerie Jardin Mobile à Québec et la campagne de Boulevard Toyota, à Sainte-Foy.

Alors qu'elle terminait le tournage de Sarah préfère la course, en août dernier, Chloé a eu une idée pour un autre film. Comme la victime d'un accident d'auto qui veut se remettre au volant immédiatement, elle s'est lancée à toute vitesse dans l'écriture du scénario de Pays, un film sur l'amitié de trois femmes politiciennes dans un pays indéterminé. Hélène Florent incarnera la première ministre et Sophie Desmarais, une députée. C'est un projet ambitieux sur les femmes, la politique et la conciliation du travail et de la famille, mais Chloé n'a pas froid aux yeux.

«Tant que j'ai l'énergie, la santé et l'idée pour le faire, je fonce. Un jour, j'aurai des bébés. Je devrai sans doute prendre une pause: une pause d'un mois», laisse-t-elle tomber avec ironie.

Quatre fois à Cannes

En attendant, Chloé revivra Cannes pour la quatrième fois. Les deux premières fois, c'était pour le Short Film Corner, qui se tient en marge du festival. Et l'an dernier, son film Chef de meute faisait partie de la sélection officielle des courts métrages.

Cette année, elle retourne à Cannes avec ses parents, une robe de soirée de Tavan&Mitto et environ une chance sur trente de remporter la Caméra d'or remise pour un premier long métrage. Elle y retourne aussi avec une certaine gratitude pour Xavier Dolan, qui a ouvert les portes de Cannes à sa génération, et l'espoir de faire aussi bien, sinon mieux, que lui.

À Cannes, Chloé se promet de...

1. Dire bonjour et merci à Sofia Coppola pour ce qu'elle est et pour l'ensemble de son oeuvre.

2. Exprimer sa gratitude à Thierry Frémaux, à qui elle doit cette invitation dans la section Un certain regard.

3. Profiter de chaque seconde pour vivre Cannes au maximum.

4. Travailler à l'avenir de son film tout en buvant un verre de champagne sur la plage.