Un siècle de Bollywood: invité d'honneur à Cannes à l'occasion de son centième anniversaire, le cinéma de Bombay se porte comme un jeune homme même si certains, en Inde, l'accusent de radoter en faisant des claquettes au mépris des réalités sociales.

Des claquettes, il en fera encore sur la Croisette au cours du 66e Festival de Cannes (11-22 mai) qui met l'Inde à l'honneur avec la projection de Bombay Talkies, une série de quatre courts métrages, et Bollywood, The Greatest Love Story EverTold (Bollywood, la plus belle histoire d'amour jamais contée), un long métrage montré hors compétition.

Avant Cannes, New Delhi ouvre ses salles obscures et ses musées pour célébrer «ce cinéma qui a contribué à fonder l'identité de l'Inde dans le monde et à faire de Bombay l'une des capitales mondiales de l'histoire du cinéma», comme le rappellent les organisateurs du festival.

Pour le producteur Skhekhar Kapoor, «qu'on l'identifie à quelque chose d'arrière-garde ou de définitivement moderne (...), on dit chez nous que c'est la seule culture capable de rassembler tous les Indiens».

Bollywood ne s'est jamais aussi bien porté: l'Inde a produit près de 1500 oeuvres l'an dernier et l'industrie du film devrait peser 3,6 milliards de dollars d'ici cinq ans, contre 2 milliards aujourd'hui, selon le cabinet KPMG.

Bollywood (B pour Bombay) est d'abord un cinéma populaire en hindi, en grande majorité des comédies musicales où l'on chante et l'on danse dans un décor volontiers coloré et fleuri, à un rythme effréné.

Hollywood au curry

Mais pour les puristes et les critiques issus des classes moyennes, Bollywood passe totalement à côté des évolutions sociétales qui ont marqué et marquent l'entrée de l'Inde dans le 3e millénaire.

«Il y a une tendance au rabais en termes de contenu. Je pense que nous souffrons de ce qu'on appelle une crise narrative», estime le réalisateur et producteur Mahesh Bhatt.

L'acte de naissance de Bollywood est daté du 3 mai 1913. Le cinéma, alors, est muet. Son père, Dhundiraj Govind Phalke, adapte Le Mahabharata, une épopée sanscrite de la mythologie hindoue.

Son film, Raja Harishchandra, connaît un grand succès même si les personnages féminins sont joués par des hommes - le cinéma était une profession quasi interdite aux femmes.

Phalke fera une centaine de films avant d'être balayé par le cinéma parlant apparu dans les années 1930.

Pour beaucoup, les années 1950 ont consacré «l'âge d'or» du cinéma indien avec l'émergence de grands cinéastes et parmi eux, le plus grand, Satyajit Ray, venu pourtant non pas de Bombay mais des studios concurrents du Bengale occidental.

L'Inde tout juste indépendante (1948) se cherche un ciment, une identité post-coloniale.

Les années 1970 et 1980 vont voir le secteur gagner en professionnalisation et en productions plus commerciales. C'est le temps des «masala», ces films légers mêlant romantisme et action, chants et mélodrame, jusqu'à l'inévitable «happy end».

À la marge, des auteurs se réclament du cinéma réaliste, comme Arth de Mahesh Bhatt (1982), l'histoire d'une liaison adultère mettant en scène des rôles de femmes de caractère.

Le cinéma indien connaît une décennie difficile: télévision couleur, piratage et dépendance à l'argent mafieux menacent son essor.

Et puis l'économie indienne commence à s'ouvrir au début des années 1990. Les sources de financement se diversifient. Fox et Disney s'installent à Bombay. Dix ans plus tard, le cinéma indien est une industrie.

Riche, populaire, il doit désormais se réinventer, sortir des pas américains dans lesquels il marche un peu trop facilement, estiment certains.

Les classes moyennes, qui vivent en ville et voyagent à l'étranger, «veulent voir autre chose que des inepties qui plaisent aux conducteurs de rickshaws», assène l'acteur Rishi Kapoor.

Des cinéastes novateurs commencent à se faire un nom, comme Anurag Kashyap dont le Hindi indie fait actuellement le tour du monde des festivals.

Selon Raj Nidimoru, coréalisateur de Go Goa Gone, l'un des tout premiers films indiens de morts-vivants, le cinéma alternatif en Inde n'en est qu'à ses balbutiements.