Venu à Montréal avec, sous le bras, son plus récent film, Chacun sa vie, Claude Lelouch est l'invité d'honneur du festival Cinemania. Nous avons profité de son passage pour discuter avec lui de cinéma, de la vie, du monde. Parce que dans son univers, tout est lié.

Alors que le monde cède généralement à la morosité, vous proposez au contraire un cinéma résolument optimiste, ce que vous avez toujours fait. Est-il quand même plus difficile d'être optimiste en ce moment?

Pas du tout. J'ai l'impression que nous vivons à une époque où les gens se comportent comme des enfants gâtés. Sincèrement, je trouve que les choses s'améliorent. On ne dit pas assez à quel point notre époque est moins dégueulasse que celles qui l'ont précédée. Je suis un amoureux de la vie, avec tous ses défauts. Je remercie d'ailleurs le ciel pour ces défauts, car ils sont très photogéniques, et ils nourrissent ma caméra. Seulement sur le cours de mon existence, nous sommes passés de la barbarie à la civilisation. Il existe aujourd'hui une zone de tolérance qui n'existait pas avant, et qui est incarnée par les jeunes générations. On ne parle pas assez de ça. J'en veux aux gens qui essaient de nous faire croire que tout va mal. Cela n'est pas vrai.

Vous venez tout juste de célébrer votre 80e anniversaire. Vous y voyez une étape importante dans votre vie?

C'est un chiffre. Comme m'a dit Jean Dujardin, je mène maintenant 8-0 ! Rendu à cet âge, on a droit habituellement à une troisième mi-temps. En sport, la troisième mi-temps est celle où l'on se bourre la gueule, où l'on fait la fête, et où l'on prend des risques. J'espère avoir l'occasion de jouer aussi les prolongations et les tirs au but parce que c'est la période la plus passionnante dans un match. J'ai envie de réussir le sprint de ma vie. Jusqu'à maintenant, je ne me suis pas ennuyé une seconde. Tous les rendez-vous que j'ai eus - même les plus cruels - ont été importants et utiles. Je vois la vie comme une course d'obstacles au pays des merveilles. Avec le temps qui passe, mon cerveau sait plus de choses, mais mon physique commence à rouiller un petit peu.

Pendant votre séjour à Montréal, la Cinémathèque québécoise a présenté La bonne année, un film de 1973, et Les uns et les autres, que vous avez réalisé en 1981. Quel rapport entretenez-vous avec vos plus vieux films?

Je suis plutôt satisfait parce que le seul critique qui compte, c'est le temps qui passe. J'ai l'impression qu'il me fait aujourd'hui de petits clins d'oeil. Les critiques ne m'ont pas épargné et je les en remercie, car en ne les lisant pas et en ne les écoutant pas, j'ai suivi mon chemin. J'ai maintenant le sentiment que les gens prennent plaisir à revoir mes films. Je suis même étonné de voir à quel point certains d'entre eux sont mieux aimés qu'avant, et quelques critiques commencent même à dire de belles choses. Jamais je n'aurais cru voir ça de mon vivant!

Pour votre plus récent film, Chacun sa vie, vous avez réuni une distribution impressionnante, de laquelle font notamment partie Johnny Hallyday, Jean Dujardin, Elsa Zylberstein, Nadia Farès, Christophe Lambert, et bien d'autres. La fabrication même de ce film est toutefois plus particulière, car vous avez mis à contribution les apprentis d'une Cité du cinéma que vous avez vous-même créée.

J'ai mis sur pied un atelier comme j'aurais aimé qu'il en existe quand j'étais jeune. Les étudiants ont collaboré de façon concrète au film, à toutes les étapes. Ma grande fierté, c'est que mes 13 élèves ont maintenant trouvé du boulot et sont tous devenus cinéastes.

L'une des plus belles scènes du film est celle où Béatrice Dalle, qui incarne une prostituée, donne à un client, un juge (Éric Dupond-Moretti), une leçon de vie. Cette scène illustre parfaitement votre style, lequel comporte une grande part de spontanéité et d'improvisation.

La spontanéité est l'élément que j'aime le plus au cinéma, parce qu'elle se situe à mi-chemin entre le mensonge et la vérité. C'est un moment où celui qui parle est réellement en accord avec ce qu'il pense. Ce moment est magique. J'ai envie que mes acteurs cessent de jouer pour redevenir des êtres humains. On vit dans un monde où il y a un décalage énorme entre ce qu'on pense et ce qu'on dit. 

Le monde du cinéma est en pleine mutation sur le plan de la diffusion. Si Netflix vous offre des ponts d'or demain pour votre prochain film, que ferez-vous?

Si Netflix arrive à produire des films exceptionnels, dignes d'être sélectionnés par le Festival de Cannes, je ne peux pas être contre. Je n'aime pas non plus les interdits. Donc, si Netflix me faisait une proposition demain, je dirais oui, mais à la condition que le film puisse aussi être vu sur quelques grands écrans. Si je n'ai pas droit à ça, je n'irai pas. Je ne veux pas faire du cinéma un cocu.

Dans le cadre de Cinemania, on peut aussi voir un documentaire, intitulé Tourner pour vivre, pour lequel le réalisateur Philippe Azoulay vous a suivi à la trace. Avez-vous découvert des choses insoupçonnées de vous-même en le voyant?

J'ai laissé Philippe faire, car il est fou de cinéma. Il a tenu le coup pendant trois ans. Je regarde ce film un peu comme un extraterrestre, à vrai dire. J'ai compris aussi que ma famille, mes enfants pouvaient m'en vouloir d'être plus passionné par le cinéma que par eux. Ce film m'a interpellé. Et je suis content qu'il existe. 

Avez-vous toujours l'ambition de faire le plus beau film du monde?

J'aimerais bien avoir cette prétention [rires]. Quelqu'un le fera sans doute un jour. De mon côté, je pense pouvoir encore faire mon plus beau film, mais pas plus!

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Chacun sa vie est présenté aujourd'hui, à 9 h 15, au cinéma Impérial. 

Tourner pour vivre est présenté aujourd'hui, à 14 h, au cinéma Beaubien.

Photo fournie par Westend Films

Béatrice Dalle et Éric Dupond-Moretti dans Chacun sa vie