Cinemania, un festival de films français, est apparu dans le ciel montréalais comme un parfait ovni. C'était à quelques jours du référendum de 1995, alors que les tensions entre les anglos et les francos à Montréal étaient à leur paroxysme. La rumeur voulait d'ailleurs que la vaste majorité des anglos soit en train de faire ses boîtes en prévision d'un déménagement imminent à Toronto.

Et voilà qu'au milieu de cette cohue et de ce chaos surgit une petite bonne femme, haute comme trois pommes, anglo-montréalaise jusqu'au bout des ongles et fière d'avoir participé au grand love-in de la place du Canada, qui nous annonce la tenue d'un premier festival de films de France, sous-titrés en anglais et destinés au public anglophone de Montréal. Pardon? C'est une blague?

Ce n'était pas une blague. Maidy Teitelbaum était sérieuse, dead serious, comme disent les Anglais, et cela, en dépit du fait qu'elle n'était pas nécessairement une grande cinéphile. Pour tout dire, elle ne connaissait rien au cinéma français et au cinéma tout court. Et surtout, elle avait zéro contact dans le milieu du cinéma. Qu'à cela ne tienne. Qui ne risque rien n'a rien, s'est dit Maidy.

En même temps, la dame ne se faisait pas d'illusions. «J'ai prévenu les gens autour de moi que même s'il ne devait y avoir que deux personnes dans la salle, je m'en fichais. J'avais envie de tenter cette aventure. Irv, mon mari, m'encourageait à le faire, alors j'ai foncé. Ce qui me motivait, c'était la possibilité de bâtir quelque chose par moi-même pour une fois», me raconte Maidy dans un resto du centre-ville où elle m'a donné rendez-vous.

Une femme secrète

J'ai voulu rencontrer cette dame pour plusieurs raisons: d'abord parce que cette année, Cinemania, qu'elle a fondé et tenu à bout de bras sans pratiquement aucune subvention, fête ses 20 ans. Parce que ce festival a plus ou moins remis le cinéma français au goût du jour alors que son déclin, voire sa disparition de nos écrans, était un fait accompli. Mais aussi parce qu'en fouillant sur le Net, je n'ai pratiquement rien trouvé à son sujet. Cela m'a intriguée. Qui était donc cette Maidy Teitelbaum?

«Je suis une femme secrète», m'a-t-elle lancé en souriant avec des yeux pétillants cerclés de lunettes de designer lui donnant un air de mamie espiègle et moderne. 

Mais elle n'avait pas sitôt évoqué son statut de femme secrète qu'elle se lançait avec verve dans le récit détaillé de sa longue vie: son enfance rue Wilder (aujourd'hui Antonine-Maillet) à Outremont, ses étés à Lac-Mégantic, où son père Red Shier avait ouvert un premier magasin de vêtements qui deviendrait bientôt une chaîne, sa rencontre et son mariage avec Irving Teitelbaum, un Juif polonais étudiant à McGill qui s'est lancé dans le commerce au détail avec le père de Maidy avant de créer la chaîne pour ados Suzy Shier puis, des années plus tard, la chaîne La Senza, et enfin la vente de tous ses actifs à peu près au moment où Maidy décidait de lancer Cinemania.

Sarasota

Pour la petite histoire, Maidy et Irv avaient pris l'habitude au printemps d'aller jouer au golf à Sarasota. Or, à quelques jours du départ, Maidy appelle pour réserver une chambre à l'hôtel où ils descendent toujours et apprend qu'il n'y a aucune chambre de libre à cause d'un festival de films français.

«J'ai été étonnée, intriguée et je me suis empressée d'aller voir ce que c'était, au juste, ce festival. Pendant 8 ans et jusqu'à ce qu'il cesse ses activités, j'ai été une habituée et même une amie du festival. C'est là notamment que j'ai rencontré le producteur Toscan du Plantier, des acteurs et des cinéastes français et que l'idée de lancer mon propre évènement à Montréal a germé.»

Maidy Teitelbaum a entrepris des démarches pour fonder son festival en 1994 en appelant justement le fameux Toscan du Plantier, grand patron de Gaumont. En vain.

«Il ne voulait rien savoir de mon projet. Rien de rien. Ça ne l'intéressait pas, alors il a fallu que je me débrouille autrement», raconte-t-elle.

Je lui demande si Serge Losique, le président du FFM qui ne manque pas de contacts dans le milieu du cinéma français, l'a aidée. Elle éclate de rire. «Losique, nous aider? Il veut nous tuer depuis le début. Ça ne s'est pas arrangé quand j'ai décidé de déplacer le festival de la salle du Musée des beaux-arts de Montréal, qui comprend 300 places, à la salle de l'Impérial, qui peut accueillir 800 spectateurs. Négocier avec lui, c'est toujours difficile.»

Pour les Anglo-Montréalais

Malgré les embûches, les obstacles, le manque de soutien financier de la Ville ou des institutions publiques, Maidy Teitelbaum a tenu bon. On devine que son mari Irving, qui est le président honoraire de son conseil d'administration, l'a non seulement encouragée et aidée techniquement en rédigeant tous les résumés des films présentés, mais qu'il l'a soutenue financièrement. D'autant que la vente des chaînes Suzy Shier et La Senza lui a rapporté des millions. 

Mais Maidy préfère rester discrète à ce sujet. Ce qui lui importe avant tout, c'est cette fenêtre sur le cinéma français qu'elle offre chaque année aux Montréalais. «J'adore les films français, dit-elle. C'est des films qui me touchent. Ils ne sont pas toujours joyeux ni débordants d'action, mais ils m'aident à mieux comprendre les autres», dit-elle avec un regard admiratif.

Ironiquement, Maidy avait d'abord conçu ce festival pour les Anglo-Montréalais qui, comme elle, avaient de la difficulté à comprendre les dialogues français. Elle voulait leur offrir, et s'offrir à elle-même en passant, un festival de films sous-titrés. 

Or, le public anglophone n'a pas vraiment embarqué. Encore aujourd'hui, il représente 10% des entrées. Le reste, ce sont les Français de plus en plus nombreux à immigrer chez nous qui ont fait la différence.

«Notre festival n'a pas connu un succès éclatant au début, mais on savait que ça prendrait du temps à trouver notre rythme de croisière. On peut dire que l'an passé, on l'a atteint.»

Du sang neuf

Encore aujourd'hui, c'est Maidy et son mari qui choisissent les films avec une poignée de programmateurs associés. 

Il y a quatre ans, un jeune Français qui avait travaillé aux festivals d'Avignon et de Montpellier est venu frapper à leur porte. Guilhem Caillard a été engagé sur-le-champ. Il a si bien fait que cette année, Maidy a décidé de lui confier la direction générale du festival, consciente que le sang neuf dans un festival, c'est la seule façon d'assurer son évolution et sa pérennité.

«Cela faisait longtemps que je cherchais quelqu'un pour prendre la relève. Je savais que je ne pouvais pas compter ni sur mon fils ni sur ma fille, qui ont d'autres chats à fouetter et d'autres intérêts. Quand j'ai fait la connaissance de Guilhem, j'ai compris que je tenais ma perle rare.»

Toujours 20 ans

Maidy Teitelman ne dit jamais son âge et ce n'est pas moi qui vais la trahir. Chose certaine, avec ses lunettes de designer, son blouson de cuir et sa coupe de cheveux garçonne, on devine que la dernière chose qu'elle souhaite, c'est avoir l'air d'une madame ou d'une grand-mère.

«Je suis une femme moderne qui ne vit pas au passé. C'est pourquoi j'aime tellement travailler avec les jeunes. Ils m'inspirent. Et Guilhem s'est montré d'une telle efficacité au cours des quatre dernières années que j'aurais été mal venue de ne pas lui confier la direction du festival», dit celle qui, au chapitre de la passation des pouvoirs, pourrait donner des leçons à Serge Losique.

En attendant, Maidy se prépare avec fébrilité à l'ouverture de la vingtième édition de son festival, ce soir, avec la première du film Gemma Bovery de la cinéaste Anne Fontaine. Quand on aime, on a toujours 20 ans, dit l'adage. Maidy n'a plus 20 ans depuis longtemps, mais peu importe, puisqu'elle a bâti quelque chose par elle-même. C'est le but qu'elle s'était fixé il y a 20 ans. 

Certains jours, elle est encore tout étonnée de l'avoir atteint.

Cinemania: cinq films «à prendre»

Plusieurs des 34 longs métrages présentés en primeur au festival Cinemania n'ont pas encore de contrat de distribution pour le territoire québécois. Nous avons vu et sélectionné cinq de ces titres.

Abus de faiblesse 

Catherine Breillat


La réalisatrice de Romance et de Sex Is Comedy s'est inspirée de sa propre histoire pour écrire ce film singulier, à la limite du malaise. Victime d'un accident vasculaire qui l'a laissée hémiplégique, Catherine Breillat s'est fait escroquer par Christophe Rocancourt, surnommé « l'arnaqueur d'Hollywood », qu'elle voulait embaucher comme acteur. Transposée au grand écran, son histoire est incarnée par Isabelle Huppert, qui propose une formidable composition, et le rappeur Kool Shen, ancien complice de Joey Starr dans NTM. Le récit s'attardant principalement à la démonstration des faits, les éléments d'analyse se font plus rares. On admirera toutefois le culot d'une cinéaste qui ne craint pas de se regarder en face.

Vendredi 7 novembre, 17h, et dimanche 9 novembre, 11h15, au Cinéma Impérial.

Dans la cour

Pierre Salvadori

Dans ce film empreint de douce folie, Catherine Deneuve interprète une nouvelle retraitée qui, voyant une fissure se creuser dans le mur de son salon, nourrit son angoisse au point de céder à la panique. Le coup de génie du cinéaste aura été de faire appel à Gustave Kervern (qui coréalise aussi des films avec Benoît Delépine) pour camper un musicien dépressif. Ce dernier parvient à se faire embaucher à titre de gardien de l'immeuble fissuré. Une amitié aussi improbable que touchante naîtra entre ces deux êtres qui ont du mal à survivre au jour le jour. Le récit est parsemé de fines observations, d'un humour souvent délicieux, et laisse aussi la part belle à une galerie de personnages colorés.

Samedi 8 novembre, 14h15, et vendredi 14 novembre, 17h, au Cinéma Impérial.

Le métis de Dieu

Ilan Duran Cohen

Ce téléfilm, réalisé pour le compte de chaîne spécialisée Arte, relate le parcours de Monseigneur Jean-Marie Lustiger. Né juif, converti au christianisme sans renier ses origines, ce dernier a rapidement gravi les échelons de la hiérarchie catholique. Il fut nommé par Jean-Paul II évêque d'Orléans en 1979 et archevêque de Paris deux ans plus tard. Ilan Duran Cohen (La confusion des sentiments, Le plaisir de chanter) s'attarde surtout à évoquer le conflit intime d'un homme de foi, déchiré entre deux identités. Les échanges avec le pape, imaginés par la scénariste Chantal Derudder (Les amants du Flore), se révèlent particulièrement intéressants à cet égard. De forme classique, Le métis de Dieu est aussi porté par la remarquable performance de Laurent Lucas.

Dimanche 9 novembre, 15h10, et jeudi 13 novembre, 9h, au Cinéma Impérial.

Le temps des aveux

Régis Wargnier

Dans ce nouveau film, qui prendra l'affiche le mois prochain en France, le réalisateur d'Indochine retourne dans l'ancienne colonie pour évoquer l'histoire de François Bizot. L'ethnologue français, qui a publié son récit biographique en l'an 2000, a été capturé par les Khmers rouges au Cambodge en 1971 alors qu'il travaillait à la restauration des temples d'Angkor. Reconnu pour ses élans romanesques, Régis Wargnier filme cette fois un peu plus « sec ». Le récit, qui se tient toujours à l'essentiel, fait en outre écho à la nature d'un lien indéfinissable qui naîtra entre le prisonnier (Raphaël Personnaz) et son geôlier (Kompheac Phoeung). C'est assez prenant.

Mardi 11 novembre, 17h10, et dimanche 16 novembre, 10h30, au Cinéma Impérial.

Un beau dimanche

Nicole Garcia

La réalisatrice d'Un balcon sur la mer offre à Pierre Rochefort, le fils qu'elle a eu avec Jean, son premier grand rôle au cinéma. Ce dernier est touchant dans le rôle d'un instituteur solitaire, épris de liberté, dont la vie sera bouleversée par une rencontre avec Sandra (Louise Bourgoin), la mère de l'un de ses élèves. S'il semble au départ vouloir emprunter la piste du polar (la femme est sérieusement endettée), le récit est très vite ramené à l'étude psychologique et à la peinture d'un milieu. Une visite dans la famille bourgeoise de l'instituteur est à cet égard très révélatrice, d'autant qu'elle nous vaut des scènes magnifiques avec Dominique Sanda. Mis en scène avec délicatesse et sobriété, Un beau dimanche fait partie des meilleurs films de Nicole Garcia.

Mercredi 12 novembre,17h10, et dimanche 16 novembre, 13h50, au Cinéma Impérial.

 - MARC-ANDRÉ LUSSIER